Sécurité : une semaine au coeur de la sûreté départementale de la Haute-Garonne
Semaine après semaine, La Dépêche du Midi raconte le travail et les enquêtes des unités de la sécurité publique, et notamment de la sûreté départementale de la Haute-Garonne. Pendant une semaine, nous sommes allés plus loin en passant du temps au plus près de ces enquêteurs, de leur quotidien, de leurs succès, de leurs échecs, des difficultés qu’ils rencontrent. « Un des objectifs de la police de sécurité du quotidien est de rapprocher la police des citoyens, explique le commissaire Fillali, responsable de la sûreté départementale. Pour cela, nous devons être transparents, expliquer notre matière de travailler. Une enquête judiciaire ne consiste pas seulement à constater une infraction. Il faut la démontrer, prouver les responsabilités des uns et des autres en lien permanent, et sous l’autorité du parquet. » En nous ouvrant ses portes, la sûreté départementale veut aussi montre la réalité de son travail, au quotidien. « La police est une administration ouverte 24 heures sur 24, avec des femmes et des hommes compétents, qui ne comptent ni leurs heures, ni leurs efforts avec un vrai sens du service public. »
Un long format de la rédaction de :
Réalisation : La Dépêche Interactive
Textes : Jean Cohadon
Photos : DDM
Jour 1 - Enquêtes : la Sûreté départementale se dévoile
Unité judiciaire de la sécurité publique, la sûreté départementale réunit 162 enquêteurs mobilisables 24 heures sur 24. Une unité qui nous ouvre ses portes cette semaine.
Un homme alcoolisé qui «s’embrouille» avec les agents de Tisséo, un garçon de 17 ans qui vend du shit dans un hall aux Izards, un cambrioleur récidiviste qui tombe, encore. Et puis des pickpockets qui jurent être mineures, un homme qui promet son admiration à Daesh, une femme qui croyait avoir trouvé «Le» job d’été mais s’est fait rouler et a perdu 1 000 €, un homme violent qui affirme avoir juste bousculé sa femme quand son visage ressemble à un boxeur maltraité sur le ring ou des individus qui exploitent la misère humaine…
« L’activité de la sûreté départementale, c’est souvent le grand écart. De la petite à la grande délinquance », admet le commissaire Karim Fillali. Avec ses adjoints le commissaire Kevin Gutter et le commandant Didier Paquet, il dirige la sûreté départementale de la Haute-Garonne. Un service de 242 personnes dont 162 enquêteurs compétents pour traiter les 55 000 crimes et délits qui se produisent sur la circonscription de Toulouse qui comprend également Colomiers, Blagnac et Tournefeuille.
« Un comité de pilotage renforcé gère la sûreté. Cela nous offre des analyses, des échanges et des synthèses interservices. Un seul objectif : l’efficacité ! » Karim Filalli, commissaire
Un service qui englobe désormais l’ensemble de la chaîne judiciaire de la sécurité publique, du commissariat de quartier jusqu’aux enquêtes les plus sensibles. « Nous cherchons au maximum à décloisonner. Le policier en tenue qui remarque dans son quartier des choses anormales peut nous prévenir en direct. Nous avons simplifié les procédures pour faciliter la remontée du renseignement du terrain. C’est primordial pour nous montrer efficace face à la délinquance », explique le patron. Il a aussi relancé le travail de renseignement, notamment auprès des indics, ces individus sans qui la police est trop souvent aveugle.
Revenu à Toulouse après plus de quinze ans de service du côté de Marseille, le « taulier » a été très surpris par l’évolution, pas dans le bon sens du terme, de la Ville rose où il a suivi ses études de droit. Et depuis neuf mois, il se démène entraînant avec lui sept brigades spécialisées, deux brigades territoriales, un groupe d’appui judiciaire pour inverser la tendance de la délinquance. En lien étroit avec le parquet, les efforts commencent à payer. La lutte contre les trafics de stupéfiants marque des points (lire page suivante). Les cambriolages s’affichent à la baisse de 15 %. Les vols à main armée, les vols avec violence, les vols sur les véhicules s’inscrivent également en négatif.
Un travail où s’inscrivent « toutes les unités de la sécurité publique sans oublier la police municipale, de plus en plus efficace sur Toulouse ou la sécurité privée, comme les équipes de Tisséo ou les personnes en charge de la surveillance notamment dans les magasins. »
La priorité : la lutte contre les stups
Descente à Varèse contre le trafic d’herbe et de résine de cannabis qui approvisionne les étudiants de l’université toute proche de Jean-Jaurès. Opération dans le quartier de la Gloire pour déstabiliser une équipe spécialisée notamment dans la vente d’héroïne. Interception de 60 kg de résine de cannabis au péage de Toulouse mais aussi deal de rue à Bagatelle, descente dans les caves de La Reynerie ou des Izards, arrestations de « petits » dealer, de « choufs », des clients. Derrière ces dossiers, grands ou petits, la brigade des stupéfiants ou leurs collègues de brigades territoriales. «Et aussi toutes les unités de la sécurité publique, intervient le patron de la sûreté. Les patrouilles de la brigade anticriminalité, les brigades de surveillance du territoire des quartiers notamment dans le grand Mirail travaillent avec nous et combattent les trafics de rue».
262 kg de cannabis, 8 kg de cocaïne saisis
Le parquet de Toulouse a placé le trafic de stupéfiants, et ses tristes conséquences (violence, insécurité pour les habitants, règlements de comptes) parmi les axes principaux de sa politique pénale. À leur niveau, les policiers de la sûreté ont accentué leurs efforts avec une brigade des stupéfiants renforcée. Et les résultats suivent. Depuis janvier, la sécurité publique a saisi 140 kg de résine de cannabis, 122 kg d’herbe, 8 kg de cocaïne, presque 2 kg d’héroïne. « Nos efforts portent autant sur les trafics, avec une augmentation de 80 % du nombre de ces organisations démantelées que sur les usagers où depuis janvier nous avons déjà interpellé 400 personnes, vendeur et ou acheteur », détaille Karim Fillali, le responsable de la sûreté.
Un travail de fond sans cesse renouvelé. À peine arrêté, un dealer est remplacé. « En matière de trafic de drogue, la nature a horreur du vide », sourit un policier spécialisé. Mais en accentuant ses efforts, la sûreté départementale parvient malgré tout à déstabiliser les organisations. « Il faut rester très humble parce que tant que la demande sera forte, de gens s’organiseront pour dealer, analyse le commissaire Fillali. Mais la justice se montre sévère, les avoirs criminels, les saisis liés à ces trafics, progressent comme les arrestations. C’est un combat quotidien. Nous ne lâcherons pas. »
Interview Karim Fillali, commissaire, patron de la sûreté départementale
Les missions de la sûreté départementale : «Des dégradations jusqu’au double meurtre»
C’est quoi la sûreté départementale ?
Un des quatre piliers de la direction départementale de la sécurité publique, entité de la police nationale en Haute-Garonne. La sûreté départementale s’appuie sur 242 fonctionnaires dont 162 enquêteurs, femmes et hommes qui travaillent en civil et couvrent l’ensemble des crimes et délits commis sur Toulouse, Colomiers, Blagnac, Tournefeuille et Saint-Gaudens. Notre compétence est départementale.
La délinquance se concentre-t-elle sur l’agglomération toulousaine ?
Majoritairement. 55 000 crimes et délits ont été comptabilisés en 2017 sur la circonscription de Toulouse qui comprend les villes de l’agglomération où la police est compétence. Ce chiffre réunit toutes les infractions, de la dégradation d’un rétroviseur jusqu’au double meurtre comme celui de la gare Matabiau où la brigade criminelle et de répression des atteintes aux personnes, brigade spécialisée de la sûreté départementale, a été saisie par le parquet.
Quel est le rôle de la sûreté départementale ?
Mener des enquêtes pour résoudre les infractions. Nous sommes organisées pour traiter le flagrant délit 24 heures sur 24 à travers le groupe d’appui judiciaire. Deux brigades territoriales au commissariat central et au Mirail, seule brigade décentralisée, travaillent sur des dossiers un peu plus complexes, qui nécessitent plus d’investigations. Enfin les brigades spécialisées, criminelle, financière, stupéfiant, atteinte aux biens, mineurs et protection de la famille, voie publique enquêtent sur des affaires soit après la commission d’un crime ou d’un délit, soit d’initiative. Les brigades de sûreté urbaine dans les commissariats de Colomiers, Tournefeuille, Blagnac plus les groupes d’appuis judiciaires dans les commissariats de quartier de Toulouse complètent ce maillage.
Quel est votre objectif ?
Combattre la réalité de la délinquance toulousaine. Toutes les infractions sont importantes mais notre rôle consiste à coller à la délinquance structurée, organisée. Notre politique se doit d’être efficience. Nous assumons de passer plus de temps sur de la délinquance organisée, comme le trafic de drogue, que sur des dégradations. Mais quand nous intervenons dans un camp comme la semaine dernière pour mettre fin à de l’esclavage moderne, nous savons également que ces investigations vont produire leurs effets sur d’autres délits : cambriolage ou prostitution par exemple.
Jour 2 - Vols, stups, violences : dans les coulisses de la Sûreté départementale...
La sûreté départementale nous accueille cette semaine. Le groupe d’appui judiciaire s’occupe des flagrants délits, calme ce lundi matin. Aux Stups, en revanche...
« Ici, vous êtes aux urgences. Le sparadrap, on soigne. Pour le cancer, ça monte à l’étage », sourit un enquêteur du groupe d’appui judiciaire, installé au rez-de-chaussée du commissariat central de Toulouse. Les bureaux sont presque vides. « Petit lundi », reconnaissent les enquêteurs présents. Par groupe de quatorze, dont deux officiers, ils se relaient 24 heures sur 24, nuit compris. «Là les collègues ont bien avancé cette nuit. Nous terminons les dossiers. Le problème, ici, la tempête débarque sans prévenir.» Quarante gardes à vue vendredi dernier, la folie.
Véritable gare de triage du judiciaire, le GAJ H24 reste calme ce matin. Une enquêtrice décrypte la vidéo d’un magasin où les voleurs ont sévi samedi. Aux policiers, en audition, les suspects ont affirmé ne pas se connaître. L’enregistrement démontre le contraire. À côté, le dossier d’un homme violent qui a joué de la barre de fer dans la nuit de samedi à dimanche. La trentaine de PV part avec l’intéressé direction le palais de justice. « Il doit être jugé en comparution immédiate », annonce l’officier de police judiciaire qui a finalisé le dossier.
Une enquête décès s’annonce. Les éboueurs ont retrouvé un corps dans un local avenue de Fronton, au nord de Toulouse. « On attend les collègues ne sont pas encore sur place… » Un gamin débarque entre deux policiers municipaux, tête basse, mèche blonde en berne. Il a été pris sur un VélôToulouse dégradé. « Ce n’est pas moi… » Procédure simplifiée mais à 14 ans, son père doit venir le récupérer. L’information ne redonne pas le sourire au principal concerné.
Les téléphones chauffent. À Bagatelle, lors d’une opération de contrôle « Flick », fidèle soutien canin a encore fait des siennes : 8 kg de résine de cannabis viennent d’être découverts. L’officier prévient la brigade des Stups qui prend le relais. Avenue de Fronton, le «mort» va beaucoup mieux. Un marginal dormait et ne voulait pas l’intention d’interrompre sa nuit…
Au 1er étage de la sûreté départemental, la brigade des stups. Une équipe motivée, commandée par une femme, qui a été renforcée à l’automne. La brigade accumule les succès mais croule sous les dossiers. « Nous serions le double, on aurait encore trop de travail. » Un peu le sentiment d’attaquer l’océan des trafics toulousains à la petite cuillère. Arrive le propriétaire de l’appartement de Bagatelle où « Flick » a flairé le haschich. La cinquantaine, assisté d’une avocate, l’homme n’est pas très bavard. « On me l’a confié y a une semaine. Je devais le garder, pour 500 €. Promis, je ne connais pas le propriétaire », dit-il.
Personne n’est dupe. Mais la peur, bien réelle, transpire sur son visage. « T’es déjà connu pour ça. C’est toi qui vas payer… », insiste le policier. L’homme baisse la tête, dépité. Dans le bureau d’à côté, deux membres du groupe vérifient un stock de téléphones portables. Quatorze ont été découverts dans l’appartement avec la résine de cannabis. Deux sont officiellement volés. Les autres ? « Pas à moi », prévient le gardé à vue. Il signe son audition et descend aux geôles. Sa nuit sera longue.
Lundi 19 février, peu avant 16 heures, un adolescent d’une quinzaine d’années se trouvait devant la gare Matabiau à Toulouse, au beau milieu d’un groupe de jeunes gens polytoxicomanes, habitués à revendre quelques grammes de produits stupéfiants, non loin de l’écluse, au bord du canal du Midi. Soudain, deux hommes de 19 et 27 ans s’écroulent après une rixe sanglante. L’un est égorgé à l’arme blanche, un autre est mortellement touché au thorax par des coups de couteau. Un scénario de l’horreur d’une violence inouïe. Le mercredi 21 février, un adolescent d’une quinzaine d’années a été interpellé et mis en examen.
Jour 3 - Chez les enquêteurs de police, la patience s'impose
À la sûreté, l’activité ne s’arrête jamais. Journée chargée hier entre la brigade de Répression des atteintes aux biens et la brigade criminelle et de répression des atteintes aux personnes.
Les cinq étages ont été avalés au pas de course. Au dernier de cet immeuble du quartier Papus, à Toulouse, les enquêteurs tentent de repérer un appartement. Pas simple. « Aucune logique », peste l’un d’eux en inspectant les portes aux numéros surprises. Un policier redescend et appuie sur la sonnette. Il est 6 h 15. Cela raisonne derrière une porte. « C’est la police, ouvrez ! » Au bout de quelques minutes, la voix d’une femme, hésitante. Son compagnon s’exécute.
C’est cet homme que les policiers de la brigade des atteintes aux biens viennent chercher. Il n’oppose aucune résistance, habitué. Les enquêteurs fouillent déjà son logement, sans illusion. « Si longtemps après les faits, peu de chance, prévient un policier. Des fois on a des surprises… » À part des cafards, pas grand-chose. La perquisition se poursuit sur le parking. La voiture familiale est vérifiée. Rien. Retour au commissariat. Cet individu a laissé son ADN sur une voiture volée début décembre à Toulouse lors d’un cambriolage en pleine nuit. En moins de 10 minutes, cette Audi A 5 a été abandonnée par ses voleurs dans Bellefontaine, mis en fuite par une patrouille de police.
L’intéressé, des antécédents multiples et variés, s’étonne. Le parquet est prévenu. Il faut attendre l’avocat pour assister ce garçon de 31 ans qui ne sait ni lire, ni écrire.
À la brigade criminelle, direction la maison d’arrêt de Seysses. Quatre individus doivent être extraits dans deux affaires différentes. L’administration pénitentiaire a été prévenue. Les suspects attendent. Un fourgon cellulaire se trouve déjà dans la maison d’arrêt. Le temps de signifier les gardes à vue et retour vers Toulouse. À peine arrivé, les premières auditions. Deux garçons doivent s’expliquer sur deux agressions en bande, dans le métro et près d’une discothèque. Dans le bureau d’à côté, une autre expédition punitive sur fond de lutte pour des parts de marché dans les trafics d’Arnaud-Bernard.
Quatre gardes à vue et les mêmes trous de mémoire. «Ce n’est pas moi, monsieur. Promis», affirme un habitué d’Arnaud Bernard incarcéré parce que soupçonné d’avoir voulu égorger un concurrent… Le policier enregistre, patient. Avec les violents du métro, même défense. « J’étais devant. J’ai rien vu de la bagarre ! » « A sept contre un, ce n’est pas une bagarre, c’est une agression », pique l’enquêteur. Un autre bureau, le suspect du vol de voiture résiste. « Mon ADN, pas possible. Sans doute un gant qu’on a posé là… »
Les auditions s’enchainent. Pas les confidences. L’étau se resserre dans le dossier de l’Audi A 5. Le parquet réclame une présentation. Derniers actes de procédure. Malgré son innocence revendiquée, l’homme part pour le palais de justice. Soudain l’excitation monte d’un cran : recherché depuis plusieurs mois pour une dizaine de cambriolages, un homme vient d’être repéré à Escalquens par des policiers qui effectuaient « des vérifs ». Les enquêteurs de la BRAB partent en courant. Une heure plus tard, ils sont de retour, sourires aux lèvres et menottes au poignet pour le suspect.
À la brigade criminelle, dans les deux dossiers, le parquet prolonge les gardes à vues.
Une opération de police a été menée, mardi 5 juin 2018 à partir de 6 heures, dans un camp de Roms, chemin de Gabardie à Toulouse. Plusieurs dizaines de policiers de la sûreté départementale ont interpellé une dizaine de personnes d’origine bulgare dans le cadre d’une enquête visant à démanteler un réseau structuré de mendicité et de traite d’êtres humains. Ces personnes sont soupçonnées d’appartenir à des clans et d’avoir placé sous leur coupe des dizaines de Bulgares en situation de grande précarité dans leur pays. Lire plus...
Jour 4 - Le renseignement, la clé cachée des bons enquêteurs
Au sein de la sécurité publique, un service spécialisé reçoit et recense toutes les plaintes. Une mine de renseignements. Comme la financière et sa délinquance astucieuse.
« Nous recensons les plaintes et les procès-verbaux de renseignements. Des commissariats, de l’extérieur comme des brigades de gendarmerie de la Haute-Garonne ou ceux qui arrivent des départements de la cour d’appel… » Le brigadier-chef, officier de police judiciaire, calcule : « Depuis le début de l’année, 1 200 pièces par semaine. » Ce travail précieux est mené par l’UAERJ, l’Unité d’analyse et d’exploitation du renseignement judiciaire.
Dix policiers travaillent dans ce service loin du terrain mais essentielle. « On enregistre et on classe. Si un collègue cherche un lien entre des cambriolages et une méthode particulière, on peut l’aider. » Les « experts » des séries télés appuient sur un bouton. « Ici c’est un peu plus long même si nos logiciels font des progrès, sourit la chef. Mais on vient nous voir souvent ».
« Indispensable », lâchent les enquêteurs qui malgré leur mémoire surprenante apprécient ces professionnels de la synthèse. Fin mai, une voleuse d’habitude, qui pillait les magasins, a été interpellée par la brigade anticriminalité. La perquisition ? Une caverne d’Ali Baba avec 9 000 € de vêtements volés (!) et 3 200 € en liquide. Quelques heures de garde à vue et cette femme a été laissée libre. Le temps pour les enquêteurs de la brigade territoriale centre de récupérer des dizaines de plaintes des magasins via l’UAERJ. «On a pu rendre 6 000 € de vêtements volés aux magasins victimes». La dame est partie en prison.
Ce service offre aussi ses synthèses aux responsables de la sécurité publique, globale ou plus spécifique comme sur les vols à la tire, objet de toutes les attentions du côté de la sûreté départementale. « Nos analyses nous permettent de cerner les phénomènes, les méthodes, les lieux, les heures sensibles de Toulouse. Par exemple pour les vols de cartes bancaires. »
Des cartes qui constituent un des ordinaires de la brigade financière. « De la délinquance astucieuse», sourit son chef à propos du nom officiel du groupe. Ce spécialiste admet que certains escrocs «possèdent un talent démoniaque ». Mais lui et son équipe s’arrachent aussi les cheveux avec les plaintes qui se répètent. « Des fausses offres de travail dont certaines transitent par le pôle emploi ou les animaux gratuits, des chiens mais dont il faut payer le transport, les frais de douanes… Le chien, lui, n’arrive jamais ! Ou les annonces. L’escroc contacte pour acheter mais réclame à l’acheteur d’abord de payer », énumère ce capitaine.
Plus c’est gros, plus ça passe. « Dès qu’on vous réclame de l’argent, surtout si vous avez reçu un chèque, c’est un piège. Dans deux semaines, le chèque reviendra sans provision et vous aurez envoyé de l’argent qui se retrouvera chez un inconnu en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Niger… » Les mandats cash, transcash et autre cartes pré-payées constituent autant de moyens de paiements modernes détournés par les escrocs. « Les buralistes l’ont compris. Ils se méfient, surtout quand il s’agit de personnes âgées, rassure le capitaine. Mais quand même, un minimum de précaution. Et quand vous tapez votre code secret, cachez le clavier. Vous ne les voyez pas mais derrière vous, il y a toujours des yeux indiscrets. Et peut-être malhonnêtes. »
Pas facile de mettre son réveil à 5 heures pour au final ne pas tomber sur le suspect chez qui vous débarquez 90 minutes plus tard. Les enquêteurs de la brigade de voie publique, une unité directement rattachée au patron de la sûreté départementale, n’ont pas trouvé leur homme hier matin à Bellefontaine, quartier sensible de Toulouse. «Parfois, pour rafler la mise, il faut dévoiler son jeu», confie un membre du groupe en descendant les étages, déçu.
Un café et quelques croissants plus tard, nouveau départ cette fois pour une surveillance. Un individu soupçonné de jouer les « tireurs », ces voleurs qui vous dérobent votre portefeuille en quelques secondes. Un fléau à Toulouse. Celui-là tromperait, de préférence, les personnes âgées.
Depuis le véhicule banalisé, les policiers observent les allées et venues. Un enquêteur joue les badauds histoire de jeter un coup d’œil au domicile supposé de la «cible». Le nez au vent, main dans les poches. Pas de trace. Dans la voiture, la surveillance se poursuit. Un autre membre de l’équipe en profite pour vérifier quelques nouvelles « escort » qui proposent leurs services via internet. «La prostitution n’est pas interdite. Le proxénétisme si», rappelle ce spécialiste qui suit de près les 400 professionnelles ou occasionnelles qui ont, un jour, proposé leurs charmes à Toulouse.
Au commissariat central, autre ambiance : autour d’un commissaire, des membres de la brigade anticriminalité et de la sûreté étudient un bloc d’immeuble où pourrait se cacher un individu recherché. Dix minutes plus tard, sous l’œil surpris, et inquiet, des automobilistes, la colonne progresse dans la rue à proximité du canal du Midi. Les portes explosent sous les coups du bélier. Chaque pièce, chaque placard est vérifié. Un immeuble, puis un autre, un garage aussi… Des traces de passage, de squat. Pas du fuyard.
Retour au commissariat central. « On ne gagne pas à tous les coups, admet un policier. Mais le temps joue souvent pour nous. »
Jour 5 - A la Sûreté départementale : écouter la douleur des mineurs, piéger le mensonge
À la sûreté départementale, la brigade de protection de la famille s’occupe des mineurs victimes et des violences intrafamiliales. Des affaires douloureuses, jamais simples.
Une salle aux murs colorés, avec des jouets, un canapé, une table en verre. On dirait une chambre d’enfant. En réalité une salle d’interrogatoire. « Pour entendre les mineurs victimes, c’est parfaitement adapté », annonce la responsable de cette brigade, un peu à l’écart de la sécurité départementale où la salle Amélie a été inaugurée en janvier – il en existe seulement deux dans des hôtels de police. Ici les enfants seraient rois mais ils entrent en victimes. Véritables, parfois imaginaires. « La parole d’un enfant doit toujours être vérifiée. Nous cherchons les preuves d’un délit ou d’un crime. Parfois, c’est autre chose… » Avec l’expérience, ces policiers doutent. « Les premières impressions sont souvent bonnes. Des fois, l’urgence, c’est d’attendre », sourit un enquêteur.
Début d’après-midi mercredi. Une femme affolée alerte les services de police. Elle vient de délivrer un adolescent enfermé dans un coffre de voiture à Toulouse. « J’ai été enlevé par un homme », raconte ce garçon de 14 ans. Les pompiers prennent en charge la victime quand les spécialistes de l’identité judiciaire commencent leur délicat travail de prélèvement. Enlèvement et séquestration, l’affaire est criminelle. Le parquet s’inquiète, pose des questions. « Facile à dire après mais très vite, sur place, nous avons partagé nos doutes », glissent les enquêteurs de la sûreté.
À 14 ans, il invente son enlèvement
Les constatations et les premières investigations vont vite déceler des incohérences de « l’affaire ». Alertés les parents confirment l’absence du garçon la veille au soir. Ils l’ont cherché mais n’ont pas prévenu la police. Pas de témoin de l’enlèvement, une voiture plus ou moins abandonnée sur la voie publique, des curiosités. Face à la victime, dans le calme d’un bureau, l’enquêtrice hausse le ton, bluffe, évoque des caméras qui n’ont rien enregistré. « Tu n’as pas dit la vérité ! » L’ado craque. Il a bien dormi dans le coffre qui était ouvert après une soirée avec ses copains et il a inventé l’enlèvement pour éviter de rentrer chez lui, pas pressé de s’expliquer sur l’imitation de la signature de son père sur un document du collège…
Un après-midi de perdu. « Nos dossiers touchent la famille : ses drames, ses séparations, les fugues, les disparitions, les agressions sexuelles, les viols, les violences conjugales… » Beaucoup de douleur et des investigations souvent lourdes. « Une disparition inquiétante peut cacher un homicide ou simplement un besoin d’air. Il ne faut pas se tromper », avertissent les policiers. Rassurer les parents dont les enfants fuguent, parvenir à recueillir la parole d’une femme battue « qui ose à peine ouvrir la bouche », trouver les mots pour pousser un enfant à montrer, accompagner les services sociaux qui viennent récupérer des enfants maltraités. « Pas le meilleur des rôles ».
Et enquêter, encore et encore pour savoir si le petit garçon de 5 ans est bien frappé par son père ou si cet homme, déjà connu pour agression sexuelle, a cette fois violé un adolescent. Les soupçons sont réels. D’ailleurs hier soir, le parquet a prolongé sa garde à vue.
Face au tas de machines, les deux experts cherchent des précisions : « Ils ont volé quoi ? » L’homme qui les accompagne dans cette entreprise de la zone Thibaud, à Toulouse, montre du doigt. « J’ai aussi une vidéo… » Les deux policiers découvrent les images des voleurs. En plein jour, ils ont profité d’un portail resté ouvert pour pénétrer sur le site. Ils ont arraché quelques câbles de cuivre avant d’être mis en fuite. La scène repérée, les policiers retournent sur place réaliser des prélèvements.
Aujourd’hui chaque cambriolage, chaque vol de voiture, chaque dégradation est susceptible d’être « exploité » par la police technique et scientifique. « L’objectif est de parvenir à 100 % », annonce le patron du GEC, le groupe d’enquête criminalistique de la sûreté départementale. Autrefois réservée aux crimes, la police technique et scientifique (PTS) s’est démocratisée à la petite et moyenne délinquance. Ce travail patient, porte ses fruits. En mai, 78 % des cambriolages commis sur la circonscription de Toulouse ont fait l’objet de prélèvement, 70 % depuis le début de l’année. Un œil sur les statistiques, le chef de groupe calcule : 46 auteurs ont ainsi été identifiés au mois d’avril. Pas mal.
« Les auteurs se méfient mais nous progressons. J’ai connu l’époque où il fallait un os pour obtenir un ADN, puis cela a été le bulbe d’un cheveu. Aujourd’hui un simple contact suffit », raconte ce scientifique devenu policier. « Il faut la rigueur du scientifique et l’audace du policier pour devenir un bon expert », assurent les membres du GEC.
La baisse des cambriolages en 2017, toujours à la baisse depuis janvier, s’explique aussi par cette systématisation des recherches de traces et indices. «En cas de cambriolage, il ne faut surtout rien toucher et alerter le 17. Nous rappelons systématiquement les victimes. Les traces, on les détecte dans les premières heures. Et moins il y a de manipulation, plus nos chances sont grandes.
Jour 6 - Au «flag», même quand c'est calme, ça défile
Mine d’enterrement, le suspect décline sa date de naissance. « C’est la troisième en 10 minutes ! », s’énerve l’officier de police judiciaire. «X se disant» marmonne. L’interprète sourit. « On va lui amener ses papiers ». « Lesquels ? », s’inquiète le policier. Dans les ordinateurs de la police aussi, les alias s’accumulent pour ce Roumain. Cette fois il a été arrêté après avoir volé un vélo par la police municipale, dans le centre de Toulouse.
Arrive un mineur de 16 ans. Avec ses copains, ils ne voulaient pas payer le bus. La conductrice les a rappelés à l’ordre. Elle a été insultée et s’est même fait cracher dessus. Face au policier, le cracheur baisse la tête. Pour lui éviter une nuit au commissariat, pas de garde à vue mais une convocation pour la semaine prochaine. « Je ne sais pas s’il pourra venir », tente sa sœur. L’enquêteur s’agace : « On peut aussi le placer de suite en garde à vue. Ce n’est pas à la carte ! » Sollicitée la maman affirme : « Oui il sera là ». L’ado repart, pas pressé d’affronter la colère maternelle.
Un voleur mineur et un malade décédé
Un autre OPJ tente de garder son calme avec un voleur de lunettes surpris jeudi soir. « Un menteur professionnel. Cinq arrestations depuis décembre et il n’a jamais le même âgé. 17 ans la dernière fois, 13 ans cette fois… » Une de ses collègues gère une enquête décès, un homme malade retrouvé mort par son épouse. « Pas de doute mais on vérifie… »
Dans le couloir, les interpellés patientent. Les enquêteurs gèrent procédure pénale et administrative. Lourd. Cette fois, il faut prolonger la garde à vue d’un homme qui a joué les Fangio sur le périphérique jeudi soir. Il a fait n’importe quoi au volant avant de se déchaîner sur un conducteur qui le ralentissait. «Il m’a foncé dessus. C’est de la légitime défense», argumente l’intéressé dans une version très personnelle de l’incident. « Ici, c’est le niveau zéro de la remise en question », constate un officier du service. À ses côtés, un Toulousain se voit notifier la suspension de son permis pour 6 mois.
Des policiers de la brigade de surveillance du territoire ont arrêté, à Empalot, un ado de 15 ans, figure de lycéen. À 15 ans, ce fugueur jouait les dealers. Dans un sac abandonné lors de sa fuite, les policiers ont retrouvé sachets d’herbe, du cannabis, des bonbonnes de cocaïne et aussi 80 € en billet de 10 €. Garde à vue et descente en geôle.
Et puis la brigade anticriminalité revient avec deux individus, attrapés en train d’essayer de vendre un téléphone, rue Lafayette au cœur de Toulouse. « Promis, je l’ai acheté », tente l’un de suspects menotté à un banc dans le couloir. Soucis, sur un site prisé des Toulousains, il y a beaucoup de propositions de vente qui ramènent vers un ces suspects. Et quand la BAC a arrêté ces hommes, âgés de 21 et 35 ans, ils ont saisi trois téléphones, tous volés. « Peut-être des receleurs des danseuses », lâche un policier. Ces voleurs qui, tout sourire, vous entraînent dans des pas de danse et vous vident les poches.
19 heures, l’heure du bilan : « 17 dossiers, super-calme. Habituellement, un vendredi, c’est 30 dossiers minimum. »
«Face à la délinquance, notre remise en cause est quotidienne»
Nelson Bouard, directeur départemental de la sécurité publique en Haute-Garonne
331 dossiers traités en quatre jours, 180 dossiers terminés, 35 personnes présentées à parquet, 32 kg de cannabis saisis, 5 000 € confisqués… Passer une semaine au cœur de la sûreté départementale de la Haute-Garonne change le regard parfois critique que l’on porte sur le travail de la police. Dans ce service où rien ne s’arrête, jamais, on touche du doigt les difficultés des missions, les lourdeurs imposées par le code de procédure pénal et la « sincérité » remarquable (sic) des mis en cause. Entretien en forme de conclusion avec Nelson Bouard, directeur départemental de la sécurité publique de la Haute-Garonne.
Pourquoi avoir ouvert les portes de la sûreté départementale ?
Nelson Bouard. Beaucoup de personnes croient, de bonne foi, que les missions de l’enquêteur sont simples et faciles. La réalité est plus complexe, nécessite beaucoup d’efforts, de disponibilité et de persévérance, jour après jour. Si votre travail a permis à vos lecteurs de se poser certaines questions, et d’obtenir certaines réponses sur le vrai travail des policiers au quotidien, c’est une réussite.
Comment choisir dans la masse des infractions ?
Il n’existe pas d’alternative : nous devons traiter toutes les infractions. Violences, dégradations, vols de portefeuille, roulottage des véhicules sans négliger la délinquance sérielle, comme les vols à la tire ou le trafic de drogue. La question tient davantage aux moyens que nous pouvons affecter à une enquête. Actuellement nous sommes très vigilants sur les vols tire, dans les bars ou le métro, aux cambriolages. Mais sans négliger tout le reste. C’est une des difficultés de nos missions.
La sûreté départementale est-ce la partie visible de l’iceberg police ?
La police se bâtit sur un travail d’équipe, une chaîne, des policiers qui œuvrent sur la voie publique jusqu’aux enquêteurs. Selon l’article 14 du code de procédure pénal, la police judiciaire est « chargée de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs ». C’est notre fil rouge, le cœur de notre travail. Nous devons assurer la sécurité de nos concitoyens, éviter que les infractions soient commises et, si elles sont commises, arrêter les auteurs. Cela nécessite une synergie totale de tous les services.
Qui trouve sa conclusion quand un individu mis en cause est présenté à la justice.
Le travail judiciaire mené par les brigades de la sûreté départementale constitue en effet la conclusion du travail réalisé sur le terrain. L’un ne va pas sans l’autre. Dans la lutte contre les trafics par exemple il faut traquer les dealers de rue et ceux qui fournissent la marchandise en amont. Ce n’est pas le même niveau de délinquance mais cela mérite une réponse. Pour être efficace dans la durée, il faut attaquer tous les niveaux. C’est ce que nous essayons de réaliser.
Après quatre mois d’observation, la délinquance toulousaine présente-t-elle des particularités ?
On y retrouve les problèmes de sécurité des villes de très grande taille. Toulouse n’est ni plus violente, ni plus épargnée que des villes comparables. Dans les grandes agglomérations, on retrouve des maux identiques. À nous, policiers, de savoir nous adapter, de savoir nous remettre en cause pour contrer des délinquants. Nous ne devons jamais avoir un temps de retard.
La police de sécurité du quotidien va-t-elle changer l’approche des forces de police ?
Cette politique repose, entre autres, sur la simplification du travail judiciaire. Les responsables de la sûreté travaillent en lieu étroit avec le parquet pour trouver des solutions. Nous cherchons, par exemple, à faciliter les échanges entre services, au sein de la police mais également avec la gendarmerie. Nous devons également améliorer la disponibilité opérationnelle des forces de police. Le développement de certaines techniques numériques facilite notre travail, évite les pertes de temps. On doit toujours s’améliorer.
Reste la réalité des moyens humains…
Le ministère de l’Intérieur a jugé nécessaire, pour impulser la police de sécurité du quotidien, de nommer 30 policiers supplémentaires à Toulouse. Ces policiers travailleront dès septembre au Mirail sur le terrain, mais aussi dans l’investigation, l’enquête.
Est-ce suffisant ?
Démontrons notre capacité à exploiter au mieux les forces dont nous disposons et, dans un deuxième temps, nous pourrons obtenir d’autres renforts.
Mais Toulouse et son agglomération continuent de se développer.
C’est une réalité. Mais ces derniers mois, nous marquons des points. En 2017, nous avons enregistré 13 % de cambriolages en moins. Cela représente 1 000 faits et autant de gens qui n’ont pas été victimes. Entre janvier et mai, nous constatons encore une baisse de 13 %. Vous avez pu le constater : les policiers travaillent, s’investissent. Les investigations de la sûreté départementale amènent chaque jour des individus devant les tribunaux. Ces résultats sont positifs mais restons modestes. Face à la délinquance, notre remise en cause est quotidienne. C’est la difficulté de nos missions mais, également, ce qui les rend exaltantes.