Les grandes heures du rugby tarnais
Un long format de la rédaction de :
Réalisation : La Dépêche Interactive
Textes : Gérard Durand, Eric Théron, Alain Rey, Vincent Vidal, André Lhopitault, Bernard Roussille (La Dépêche du Midi)
Photos : DDM
Quand personne ne venait gagner chez les Graulhétois
Tous les jeudis, nous vous proposons une série consacrée aux clubs qui ont marqué l’histoire du rugby tarnais. Début aujourd’hui, avec le Sporting-club Graulhétois du temps où il faisait trembler les meilleurs clubs français.
Entre le début des années 50 et le milieu des années 90, Graulhet a marqué le rugby français de ses capacités à battre toutes les équipes. Et le record d’invincibilité à domicile établi entre novembre 78 et septembre 84 englobe 48 succès de rang face à tous les grands club de France, repartis du stade de Crins en ayant perdu leurs illusions.
«Les adversaires, quels qu’ils soient, quand ils venaient à Graulhet, faisaient une croix sur la victoire» confirmait André Abadie, légendaire pilier des années 60, le jour du centenaire du Sporting. Il aura joué les demi-finales de 66 et 67 face à Dax et Montauban. Dix ans plus tôt, c’est la bande à René Azémar, qui se faisait éliminer au même stade, par l’intervention d’un point de réglement absurde, la moyenne d’âge.
De Pauthe à Revallier
En 86, le Sporting de Guy Laporte, accédait pour la quatrième et dernière fois au dernier carré et se faisait sortir par le Stade Toulousain. Trente ans en haut des classements, des matchs à forte affluence, avec un public qui s’identifiait à son équipe en partageant son esprit rebelle. Des décennies qui auront révélé des joueurs de talent, chacun dans sa génération; des Pauthe, Rouzières, Planès, Vidal, Larrue, Cussac, Saby, Lamazouade, Gasc, Sanz, Revallier pour ne citer que les plus connus, et des dirigeants hors-pairs, comme l’incontournable Marcel Batigne, les serviteurs du club, André Papaïs, André Roumégoux ou Roger Bousquet. «On va gagner! On gagnera!» martelait le patron mégissier à l’adresse de son quinze, avant les rencontres. Force est de constater que le rugby produit sur les bords du Dadou n’était pas aussi spectaculaire que celui de Mont de Marsan, de Bayonne ou de Lourdes souvent cités en exemple. De grandes chandelles dans le ciel tarnais, quinze guerriers, un buteur, un public qui poussait fort, et le Sporting avait raison de l’ambition des plus belles phalanges. «C’est toute la ville qui était derrière son club» assurait il y a peu un Guy Pauthe, talentueux demi-de-mêlée. Reverra-t-on un jour Toulon, Montferrand, Racing, La Rochelle, Castres ou Toulouse au stade Noël Pélissou ? Il y a malheureusement longtemps que les Graulhétois ne se bercent plus d’illusions.
«Ecoeuré!» c’est l’impression qui revient 61 ans après dans les souvenir de Marcel Roques. Il a, juste après la demi-finale de 57 perdue face au Racing, à la «moyenne d’âge», mis un terme, à 23 ans, à une carrière que chacun annonçait prometteuse. L’international juniors, dit encore sa frustration. «C’était contre les Parisiens, et les dés étaient pipés. Je me suis même accroché avec l’arbitre juste après le match». Pour l’ancien mégissier, qui finissait 30 mois d’armée, le rugby a pris ensuite un virage en intégrant l’argent dans les rapports. «Il n’y avait plus cette camaraderie, cette fraternité qui animait l’équipe au début des années 50. Celles-là même qui nous poussait à battre les grosses équipes, comme en novembre 53 quand nous avions gagné à Pau, 11 à 9. Ou à Toulon quand Vidal manque le drop, je récupère le ballon et je marque l’essai. René Azémar vient me voir et me dit,«maintenant, les Toulonnais vont vouloir notre peau. Mais t’en fais pas, on va pas se dégonfler!» C’était ça Graulhet.».
Marcel Roques s’en souvient comme si c’était hier, déjà associé à Francis Rouzières dans une 3e ligne qu’allait intégrer André Rivals pour la légendaire 3 R. «Francis c’était le pourvoyeur de balles en touche, André, le joueur de ballons et moi, Camille Bonnet -entraîneur emblématique de l’époque retiré à Valence et qui aura 100 ans en ce mois d’août-, m’avait confié les missions de démolisseur. Il fallait empêcher l’ouvreur de jouer. Je défendais sur lui à l’extérieur sur les deux-trois première attaques. Quand il pensait logiquement prendre l’intérieur, je modifiais ma course. Ca marchait!».
A 85 ans, Marcel Roques avoue s’être quasiment coupé du rugby. «Je me suis quand même régalé en regardant les moins de 20 ans il y a quelques semaines à la télé. Mais ce sport aujourd’hui est trop formaté et les joueurs stéréotypés». Dans sa maison de Labessière-Candeil, pas de ballons, pas de maillots, pas de trophée qui rappelle la brève mais fulgurante carrière. Quatre ou cinq photos. Pas plus. «En fait, je suis venu au rugby avec les Planès, Séverac, Pauthe, Pauziès ou Cazelles, par défaut. A Graulhet, à l’époque il n’y avait que ça». Les temps ont bien changé.
Pierre Bardou se souvient d’un Graulhet-Béziers en 79
Qui d’autre que Pierre Bardou et son savoir encyclopédique sur les belles années du Sporting, est à même, de mémoire, de se remémorer les victoires les plus éclatantes, les défaites les plus décevantes, les scores, les compositions d’équipes et les anecdotes qui vont avec. Bercé jeune dans la poussette rouge et noire de son dirigeant de père, il a assisté dans sa cinquième année à la demi-finale perdue face à Montauban en 67. Il n’en a logiquement gardé aucune image. Ce qu’il se souvient c’est du dernier match d’André Abadie trois saisons plus tard contre Romans à Carcassonne. Titulaire de la carte d’abonnement en tribune, depuis sa jeunesse, il a assisté à des centaines de matchs. Certains gravés dans sa mémoire. «Le meilleur, c’est la victoire fabuleuse contre le grand Béziers au stade de Crins en 79. Peu d’équipes l’ont fait. Graulhet savait les jouer, avec un Françis Bellot meneur d’hommes hors-pair». En feuilletant les archives, il tient a revenir sur deux autres succès qui ont marqué les décennies.
«D’abord la victoire en 1/16e contre Agen à Lourdes le 7 avril 73. Les Agenais avaient fini premiers à l’issue de la phase de qualification et Graulhet dernier. Les Graulhétois ont été héroïques, à treize et demi contre quinze, car à cette époque il n’y avait pas de remplaçants. Guy Laporte avait été l’homme du match». Et un second souvenir marquant. «En avril 86, à Aurillac, Graulhet a battu Clermont-Ferrand pourtant archi-favori. Le pack en particulier, avait drôlement perturbé la machine auvergnate». Selon Pierre Bardou les qualités des rouges et noirs résidaient dans la vaillance, le courage et la ténacité. Et celle des supporters, dans la fidélité. «Il n’était pas rare de voir cent personnes assister aux entraînements avant une rencontre importante». Reste un grand regret. «Celui de ne pas avoir vu Graulhet champion de France».
Depuis plus de 15 ans, le Sporting est arrivé à se maintenir dans l’élite du rugby d’appellation amateur. Certaines saisons, les dernières en particulier, son maintien n’a tenu qu’à quelques rétrogradations d’autres clubs, ou réforme du championnat. Depuis quatre ans, le club est sur le fil du rasoir, n’arrivant pas à se sortir des fins fonds du classement et jouant sa survie sur un match. La victoire à Rodez qui a conclu le parcours 2017-2018 en est le plus récent exemple. Plus préoccupant encore ; à l’heure où le club aurait besoin d’unité et d’implication pour envisager son avenir avec un minimum de sérénité, en coulisses, quelques querelles intestines ont poussé à la démission David Gau, le président depuis six saisons et son secrétaire, Jean Luc Cathalau. Une situation difficile à maîtriser, malgré l’arrivée aux affaires sportives d’un Guy Laporte qui se veut rassembleur. L’assemblée générale extraordinaire du 26 juillet prochain devra élire un nouveau président et organiser des bureaux et sections en besoin de stabilité à quelques semaines de la reprise du championnat. Sous peine, si ce n’était pas le cas, de voir le Sporting basculer définitivement vers les néants rugbystiques.
En mai 2006, l'incroyable montée des Albigeois en Top 14
8000 supporters à Toulouse et beaucoup plus devant leur téléviseur ont assisté en mai 2006 à la finale d’accession en Top 14 qui a vu Albi dominer Dax (12-8). Un grand moment qui n’est pas près de s’effacer.
Le printemps 2006 et cette fameuse finale d’accession victorieuse face à Dax aux Sept Deniers de Toulouse restera gravée à jamais dans la mémoire collective des supporters. Une consécration pour le club, meurtri par trois finales perdues de Nationale 1 de 2000 à 2002 face à Oloron, Tours et Lyon. Après trois saisons de Pro D2, le SCA progresse d’année en année. Le charisme et la méthode d’Éric Béchu, Ariégeois débarqué sur les bords du Tarn en 1999, qui parie sur des joueurs revanchards délaissés par le microcosme des professionnels, vont finir par porter le club vers les sommets.
En cette année 2006, il ne fait pas bon se frotter aux Mela, Guicherd, Maréchal ou Stankovich. Les premières mêlées sont souvent chahutées, les ballons portés font reculer bien des avants, et l’équipe a des résultats au point de rivaliser au sommet avec les voisins de Montauban.
Le SCA prendra place à trois reprises dans le fauteuil de leader (1re journée, 6e et 7e). Mais les Tarn-et-Garonnais étaient imbattables cette saison et ils s’offraient la montée directe en remportant le championnat avec 19 points d’avance sur le SCA, qui conclut l’exercice avec vingt-et-une victoires, un nul (face à Montauban justement au Stadium) et huit défaites.
On retrouve ces Albigeois, que personne n’attendait en début de saison, en phase finale avec une demie au Stadium face à Béziers, cinquième de la saison régulière et dominé à deux reprises en cours d’année.
Grâce à une entame de feu, un essai de Vincent Clément, une transformation, trois pénalités et deux drops de Frédéric Manca, le SCA mène 22-7 à la pause et a mis un pied et demi en finale. C’est mal connaître les Biterrois, habités par un sentiment de révolte, qui vont revenir à 20-25 grâce à un essai inscrit en deuxième période. Il faudra une grosse défense des hommes d’Eric Béchu pour stopper l’hémorragie et fêter l’accession en finale face à Dax, tombeur d’Auch dans l’autre demie (28-27).
Programmée au stade des Sept Deniers de Toulouse, la finale déclenche un vent de folie à Albi. C’est la course aux billets pour ne rien manquer de ce match qui peut propulser l’équipe en Top 14.
Vingt-trois bus et des centaines de voitures rallient Toulouse pour cette rencontre qui s’annonce historique. Entre deux clubs qui ne s’apprécient guère, la partie va être tendue, âpre et disputée et le niveau de jeu n’atteindra rarement les sommets.
Comme durant la saison, le huit de devant Albigeois domine son vis-à-vis et Frédéric Manca, l’artilleur en chef albigeois enquille. Le SCA mène 9-0 à la mi-temps, mais rien n’est encore inscrit dans le marbre. Les hommes de Marc Lièvremont font le forcing. Une pénalité et un essai non transformé inscrit à dix minutes de la fin mettent le chef-d’œuvre albigeois en péril. Mais au courage, grâce à quelques cocottes, le SCA s’en sort sans dommage et peut libérer la liesse de ses supporters. Toute la ville se pare de jaune et de noir pour accueillir ses héros sur la place du Vigan.
Le plus dur commence pour les dirigeants, qui vont devoir faire des miracles pour augmenter le budget. Ce sera provisoirement chose faite, histoire de jouer deux saisons en Top 14 avant que la Dnacg ne siffle la fin de la récréation. Le SCA jouera encore une saison au plus haut niveau (2010-2011), avant de rentrer dans le rang.
Ancien joueur, entraîneur adjoint en 2006 puis directeur général adjoint jusqu’en 2011, Daniel Blach a tout connu avec le SCA. Il garde un souvenir ému des années 2000, et notamment de la montée en Top 14 en juin 2006.
Que gardez-vous de cette fameuse saison 2006 ?
Il ne me reste que des émotions. C’était une saison très calme. On gagnait à la maison, à l’extérieur, c’était très confortable rugbystiquement. On était dans une phase ascendante.
Pourtant, personne ne vous attendait à ce niveau, l’ambition n’était pas de monter…
Si, en interne, depuis l’arrivée d’Éric Béchu, l’ambition était de monter de la Fédérale au Top 14. On ne le criait pas sur les toits, c’était inavoué mais tous les joueurs avaient cette ambition. On a recruté des joueurs revanchards qui nous ont fait grandir parce qu’ils voulaient jouer un jour dans l’élite. Je pense à Boris Stankovich, qui jouait talonneur à Graulhet qui est devenu un des meilleurs piliers gauches de France ou à Mickaël Ladhuie, qui venait des espoirs de Colomiers. La caractéristique des joueurs, c’est que c’était tous des combattants avec des ambitions implicites.
À l’époque, le pack albigeois était particulièrement réputé…
En Pro D2, on bousculait tout le monde et les arbitres nous pénalisaient souvent car ils pensaient que l’on trichait. Une fois que notre réputation a été faite, c’était plus facile. En finale face à Dax, on était partis pour jouer près des avants sans écarter les ballons. On a misé sur nos points forts. Contrairement à Dax, on était là pour gagner, pas pour pratiquer un jeu esthétique. D’ailleurs, à l’époque, Marc Liévremont qui entraînait Dax avait été un peu suffisant en disant qu’il préférait rester en Pro D2 plutôt que de jouer un jeu aussi pauvre.
Avez-vous eu peur lors de cette finale ?
Non, on n’avait pas peur de prendre un essai, mais je me souviens encore d’une action sur laquelle Sanchou avait stoppé Courtade in extremis en le prenant par le maillot. Heureusement qu’il ne le lâche pas. C’est le seul joueur de Dax dont on avait parlé pendant la préparation.
On imagine votre émotion au coup de sifflet final et au retour à Albi…
Ma plus grosse émotion, je l’ai eue au départ du car en quittant Albi avant le match. On sentait qu’on partait pour toute la ville, on se sentait profondément albigeois, comme investi d’une mission. Après la victoire, on était débordés de partout et on s’est dispersés.
Que reste-t-il douze ans après ?
Des amitiés fortes, des souvenirs forts avec les dirigeants, les joueurs et le staff, notamment Éric Béchu, Philippe Laurent et Jean-Michel Mallet. Humainement, les joueurs étaient au Top avec des personnalités très affirmées. D’ailleurs, 75% des joueurs qui ont joué la finale d’accession ont été ou sont entraîneurs. On a été heureux sur le recrutement car on ne s’est trompé sur personne. Éric les a recrutés en pensant qu’ils avaient de la marge mais pas à ce point-là. L’état d’esprit guerrier et combattant date de la fédérale, les nouveaux joueurs sont rentrés dans le moule. Quand ils signaient à Albi, ils savaient qu’il allait falloir combattre et que ce serait dur.
Vous retrouvez-vous de temps en temps ?
Oui, nous sommes encore en contact. Cette génération se retrouve régulièrement, comme celle des années 80 quand j’étais joueur.
Après la montée en Top 14, le plus dur commençait…
On a passé des vacances studieuses à recruter. Mais on avait encore le statut amateur et il a fallu augmenter les salaires car les joueurs étaient payés comme en fédérale. L’administratif a dû se mettre au niveau du sportif.
Guy Costes : «Une fête extraordinaire»
Guy Costes est un fidèle supporter du Sporting Club Albigeois, et ce depuis plus de 40 ans, à une époque où les jaunes et noir jouaient contre Saint-Claude, Mérignac, Bergerac, Marmande ou encore le voisin Carmaux, et déjà, il ne manquait jamais l’occasion d’encourager ses protégés en donnant de la voix.
La première consécration de ce supporter acharné viendra en ce dimanche 24 février 1974, où l’arrière Galan expédie les siens en 8es de finale, après avoir déjoué tous les pronostics, et terrassé le stade Toulousain des Villepreux, Skréla, Bourgarel, et de la future star Jean- Pierre Rives.
Il sera de toutes les aventures, et il a contaminé toute la famille, à commencer par son épouse Brigitte, qui se servirait bien du parapluie, lorsque l’arbitre sanctionne injustement les siens. Maintenant, la famille est de tous les déplacements ou presque, attend les joueurs à la sortie des vestiaires, pour ne rien manquer de la fête, puisque le rugby à Albi est devenu une véritable institution, et bien entendu la famille renouvelle chaque année son abonnement, pour être sûr de retrouver leurs places non loin des tambours, et être au cœur de l’ambiance.
Guy n’a loupé que 7 ou 8 matches en 40 ans, c’est le supporter de la première heure, et un vrai supporter, celui qui soutient le club et les joueurs, même dans les moments un peu plus compliqués. Guy gardera en mémoire ce 4 juin 2006 et l’accession en Top 14 aux sept Deniers face à Dax. «C’était magique, Albi dans l’élite du rugby Français, c’était incroyable, une fête extraordinaire, des gens heureux, Éric Béchu avait réussi son pari, faire d’Albi une place forte du rugby moderne» nous dira-t-il, et il poursuit : «Jamais nous n’aurions dû descendre l’année dernière, la place d’Albi est au moins en Pro D2, et c’est difficile d’accepter cette dégringolade, il faut que nous remontions absolument à l’issue de cette saison ! Et je serai toujours là quoi qu’il arrive…»
Longtemps plombé financièrement, le club a plongé sportivement depuis deux saisons, au point de se retrouver en fédérale 1, comme au début des années 2000. Après avoir joué une nouvelle finale d’accession en 2011 sous le règne d’Henry Broncan, le club s’est hissé en demi-finale à Mont-de-Marsan avec Ugo Mola aux manettes en 2015. Depuis, d’erreurs de casting en bisbille entre dirigeants, entre joueurs et entraîneurs, le club se débat pour sauver ce qui peut encore l’être et retrouver la Pro D2. C’était l’objectif de la saison dernière, d’autant qu’Arnaud Mela avait signé pour apporter son expérience du haut niveau et renouer avec l’époque Béchu, mais l’équipe a chuté en demi-finale face à Rouen. D’où l’obligation de repartir cette saison en Fédérale 1 Jean-Prat, la poule élite ayant été rayée de la carte.
Le SCA va donc être contraint de frayer avec Lavaur, tout nouveau champion de Fédérale 1, Tarbes, Marmande, Valence d’Agen etc. Il faudra terminer dans les deux premiers pour jouer des quarts de finale, sachant que, comme par le passé, les deux finalistes monteront en Pro D2. C’est largement faisable au vu de l’effectif albigeois, du budget (3 M€) et du statut professionnel des joueurs confrontés à des joueurs souvent pluriactifs, mais l’expérience douloureuse de la saison dernière incite à la prudence. C’est sans doute le dernier joker du SCA pour rejoindre l’antichambre de l’élite. Supporters et partenaires ne supporteraient pas une nouvelle saison dans le monde des amateurs.
L'année glorieuse où Gaillac accède en Pro D2
La saison 2005-2006 restera gravée à jamais dans le livre d’or de Gaillac. Au terme de plusieurs années de volonté, d’échecs sur la dernière marche, l’UAG accède à la Pro D2 et décroche le titre de Fédérale 1. Une année superbe.
«Qui n’avance pas recule.» Cette phrase, l’ensemble du staff et des joueurs l’ont entendu maintes fois de la bouche du président et principal financeur du club, l’entrepreneur Hubert Mauillon. Pourtant, il y avait de quoi baisser les bras en ce mois de mai 2005 où les Gaillacois réalisent une demi-finale retour à Colomiers dantesque. Une enceinte en ébullition, les essais magnifiques, un match énorme. Ceux présents dans les tribunes en ce dimanche ensoleillé se souviennent de cet instant qui reste comme l’une des plus belles rencontres du rugby tarnais, toutes divisions confondues. Malgré cette gabegie de jeu, un arbitrage pour le moins curieux, les hommes de Gaillard ne s’incline que 51-50 au terme des deux rencontres. Encore un échec après celui face au Stade Bordelais à Marmande l’année précédente.
«Qui n’avance pas recule», vous vous rappelez. Alors, la direction du club décide de ne rien changer. On garde Alain Gaillard et son staff. On préserve le groupe, mais on décide de mettre une pincée d’expérience avec l’arrivée d’Arnaud Costes, ancien international qui a fait ses armes à Montferrand et au CO et du Castrais Frédéric Laluque. Il faut dire qu’il y a déjà du beau monde dans l’effectif. Derrière, c’est du lourd avec Carrat (ancien briviste), Estebanez (qui deviendra international), Fabre, Bédé, Bonvoisin, Durand. À l’ouverture, l’expérimenté Giry. Devant, ne vous inquiétez pas, ça tient la route avec Louembet, Kara, Naulleau, pour ne citer qu’eux.
En ce début de saison, l’objectif reste le même. La montée. On est têtu en terre gaillacoise. Mais la saison va être longue, très longue.
D’abord les phases régulières où l’UAG finit deuxième derrière Limoges. Puis les Play-off ou après avoir été exempt au premier tour, les Tarnais rencontrent à domicile la solide équipe de Bourg en Bresse. Pas si aisé que cela, ce match. Un succès étriqué (21-16) devant un public de feu et quelques questions dans la besace. Ce groupe a-t-il les moyens de faire tomber Nîmes en demi-finale aller-retour et toucher enfin le Graal de la montée ou l’histoire va-t-elle se répéter avec un nouvel échec. Gaillard et son staff savent qu’il faut que l’équipe passe un cap, que tout le travail de la saison soit optimale, là, maintenant. Ce déclic tant attendu arrive. Dans la fournaise nîmoise, face à de vieux roublards qui ont connu les joutes du Top 14 et de la Pro D2, Giry et son groupe font le match parfait. Ils explosent les compteurs, défient les pronostics les plus flatteurs, ravissent les nombreux spectateurs qui avaient le déplacement. 39-10. Incroyable match qui les envoie sauf cataclysme en Pro D2 (N.D.L.R., les deux finalistes de fédérale 1 montaient en Pro D2). Le match retour ne sera qu’une formalité sportive malgré une rencontre entachée de violences et d’une bagarre générale déclenchée par des Nîmois qui avaient oublié de rebrancher leur cerveau.
«Qui n’avance pas recule.» La phrase est enfin prise à la lettre. L’UAG peut sourire, respirer. Elle est en Pro D2. Mais la saison n’est pas terminée. Il reste un petit quelque chose à terminer. Toucher un bout de bois, devenir champion de France. Bon, en face, c’est Limoges, favori du titre depuis le début de la saison. Et alors? Ce n’est pas ça qui va faire peur à ces irréductibles Tarnais. Comme un seul homme, le peuple gaillacois ressort les écharpes, drapeaux, cornes de brumes. Direction Lourdes pour un match tendu, serré entre les deux meilleures équipes de la Fédérale 1. 11-12 à la mi-temps. Puis c’est le money-time, la crispation, le tableau d’affichage qui s’annonce 18-18. Avant le drop de la victoire de Patrice Giry. C’est le temps des embrassades, des pleurs, des joies, de ce bouclier qu’il est si doux de toucher. C’était le temps de l’année glorieuse de Gaillac, le temps des sourires, du titre et de la montée.
Alain Gaillard : «Je me suis régalé à entraîner ce groupe»
Alain Gaillard a aujourd’hui pris du recul sur ce sport qu’il aime tant. Mais il reste une référence dans le monde de l’ovalie. Pendant plus de trente ans, il a entraîné, façonné des hommes, des groupes, des équipes. Des titres, il en a récolté. Champion de France avec Castres en Elite et en groupe B, il débarque dans la cité gaillacoise, appelé par le président Mauillon, avec un objectif clair. Faire que l’UAG quitte cette Fédérale 1 pour accéder au Graal de la Pro D2. L’homme sait faire. Mais il attendra, patientera. Plusieurs finales perdues ne briseront pas le plan d’action.
«On avait encore en travers de la gorge la demi-finale (aller-retour) perdue contre Colomiers, l’année précédente. On perd 51-50 sur les deux matchs avec un arbitrage que j’ai encore en travers de la gorge. Mais bon. On n’allait pas refaire le passé.» Quand même. Alain Gaillard l’avait mauvaise, quand la saison 2005-2006 débute. «J’avais gardé le même groupe en recrutant deux cadres essentiels pour leur qualité de meneur d’hommes et d’intelligence rugbystique. Il s’agissait de Frédéric Laluque et d’Arnaud Costes. Deux joueurs que je connaissais bien.» Costes est repositionné en troisième ligne centre, pour «apporter sa vision remarquable du jeu» admet Alain Gaillard. L’ancien entraîneur se rappelle. «Il fallait se qualifier en finale pour accéder en Pro D2. À cette époque, la saison était très longue, avec les phases régulières puis les phases finales. On savait qu’il fallait atteindre le pic de forme en fin de saison.»
L’année rugbystique se déroule au rythme des matchs dominicaux. Le tempo est bon, pas exceptionnel. «On perd deux fois face à Limoges qui était le favori pour la montée en Pro D2» avoue Gaillard. Avec les beaux jours, place aux tribunes pleines, aux matchs couperets de phases finales. Gaillac s’impose face à Bourg-en-Bresse avant une demi-finale (aller-retour contre Nîmes) qui va finaliser le travail d’une saison.
«À Nîmes, il y a eu un déclic. On fait un match remarquable. On gagne 39-10. C’est énorme face à un groupe expérimenté. On savait dès lors qu’hormis catastrophe, le club accéderait à la Pro D2. Il n’y aura pas de cataclysme sportif, (Gaillac se qualifie aisément en s’imposant 30-5), mais une bagarre générale hallucinante. Durant plusieurs minutes, les joueurs et l’encadrement nîmois prennent à partie les Gaillacois. «Une vraie folie» se souvient l’entraîneur. «Surtout que c’était à la fin de la rencontre. Les enfants étaient rentrés sur la pelouse pour fêter la victoire. Les provocations duraient depuis le début de la rencontre. Il a fallu que je sorte Costes et Laluque à la mi-temps pour éviter qu’ils ne soient blessés par des coups bas. Je me demande encore comment, il n’y a pas eu un drame ce jour-là.»
La fête de la montée est gâchée. Il reste un match pour savourer cette saison extraordinaire. Décrocher le bouclier face à Limoges. Le match se déroule en terre lourdaise. «Limoges avait une très bonne équipe, favorite sur le papier.» Et pourtant. Sous une chaleur torride et humide, les Tarnais résistent à l’armada adverse, jusqu’à la délivrance, jusqu’à ce drop salvateur de Giry à la 78e minute. «J’ai eu autant de bonheur ce jour-là que pour le titre de 93 avec Castres» admet le coach. C’est soir de fête. La montée est là, le bouclier aussi. Le public dont on connaît la fidélité et son dynamisme vocal savoure l’exploit jusqu’au bout de la nuit.
Pour l’encadrement, il faut faire vite pour boucler le recrutement, le budget.
«J’ai un bon souvenir sportif de cette année en Pro D2. Certes, on perd les 5 premiers matchs contre les 5 favoris à la montée. C’est là que l’on voit comment la Ligue accueille les nouveaux venus. On a tout fait pour nous faire descendre.» Ce ne sera pas le cas. Gaillac enchaîne les bons résultats. «On a su très vite que l’on était sportivement sauvé. On aurait même pu viser une place en phases finales parmi les cinq premiers. Mais à partir de mars, le groupe s’est mis en roue libre.»
Puis il y eut cette fin de saison chaotique, la DNCG qui retoque le club. Le dépôt de bilan, la relégation en fédérale 3.
«C’est dommage que ça finisse comme cela. Mais je pense que Gaillac est financièrement faite pour la Fédérale 1. Mais c’était une sacrée aventure.»
De bons souvenirs pour Alain Gaillard ?
«Oh que oui. J’ai passé de très belles saisons ici. Je me suis régalé à entraîner ce groupe. Il était sain, fait de copains. Le public, sa structure familiale du club me rappelait le bon temps du rugby des années 90. Vraiment de bons moments.»
Il a été capitaine de l’équipe juniors championne de France en 2002, avec les Bonello, Dupuy, Squassina ; ceux qui ont battu Valence en Finale, puis a décroché un autre Bouclier des équipes réserves. Mais Jean-Philippe Delmas accorde une place particulière à l’animation du club des «ultras», de ce noyau qui a accompagné la renaissance de l’UAGR, jusqu’à la finale perdue d’un souffle contre Arcachon, en 2012, à Villeneuve sur Lot. Ils avaient coloré les dimanches de printemps de rouge et noir, fédérant les âges, des petits de l’école de rugby aux parents de joueurs, les Crayssac, Guille, Delmas. Suivaient les vignerons, les copains, une intendance copieuse et une logistique de plus en plus consistante. «On faisait même un stand sur le marché du vendredi. On y vendait des tee-shirts et le kit complet, les perruques, le foulard floqué du coq, les drapeaux. Avec la cagnotte, on pouvait acheter des instruments sonores». Grosse caisse, cornes de brume, fumigènes (jusqu’à leur interdiction) : Gaillac gagnait chaque semaine l’avant-match des supporters.
Les ultras avaient même fait coudre un «tifo» de 10m sur 8m et imprimer 300 pancartes rouge et noir de format A3. La cohorte, avec ses glaciaires, pique-niquait sur le parking du stade, avec la trilogie macrobiotique «saucisson - camembert - kil de rouge - et faisait aux joueurs un accueil «à la toulonnaise» à leur descente du bus. Au coup d’envoi, le «Ici, ici, c’est La-bo-rie», entonné à gorge déployée et dessoiffée, claquait comme une évidence : l’UAG jouait partout à domicile. Au retour, tout le monde se retrouvait à la buvette du stade Laborie pour une nuit sans fin. Dans la voix de Jean-Philippe Delmas, se lit une nostalgie de ces printemps chauds-bouillants, des casse-croûte sur les aires d’autoroute, des convois qui klaxonnaient les victoires, comme les clochers de France celles de la Grande Armée. «Le lundi matin, on n’avait plus de voix». On avait jusqu’au dimanche suivant pour la reposer et la retrouver.
L’UAG aujourd’hui
L’UAG 2018 est-elle à son niveau en Fédérale 2 ? Les supporters sont assez nombreux à le penser. Se qualifier reste un objectif lucide, monter tutoie l’utopie, car la Fédérale 1 est virtuellement professionnelle. Avec un budget autour de 400 000€, il serait périlleux de rêver. Cette saison, la qualification était autrement difficile, avec 4 élus sur 12 au lieu de 6 sur 10 les années précédentes.
L’UAG est passée tout près, dans une poule sélective où les leaders sont allés jusqu’en finale ou quarts de finale. L’UAG a des Espoirs performants, des juniors Phliponneau battus de peu par le champion de France et finalistes en Pyrénées, des cadets qui ont été performants en «Grand Sud». Les effectifs de l’école de rugby sont moins reluisants (-20%), mais le problème n’est pas spécifique à Gaillac. Le club continue de miser sur la formation : 80% des seniors sont passés par l’école de rugby. Le jeu est plaisant, offensif, dans l’ADN d’un club qui n’a pas de grands gabarits, mais une énergie à revendre, et qui cultive une denrée précieuse : l’amour du maillot rouge-et-noir.
Sporting Club Mazamétain 1958 : l'année de la finale
C’est en 1898 que le rugby fait son apparition à Mazamet. Une section rugby est créée au Véloce Club Mazamétain, présidé par Célestin Bourguignon.
Après l’essoufflement de l’industrie du textile, la ville est alors en pleine renaissance grâce à la révolution industrielle que constitue le délainage.
En 1905, sous la houlette d’Albert Vidal qui restera président pendant trente ans, le rugby prend son envol sous l’appellation Sporting Club Mazamétain et adopte les couleurs bleu et noir.
C’est dans les années 1950, avec l’arrivée à la présidence de Jean Fabre, que commence la grande époque du Sporting. Lucien Mias, Aldo Quaglio, Dominique Manterola, Jacques Lepatey, pour ne citer que les plus connus, portent le Sporting au plus haut niveau du rugby français.
Le Sporting en finale du championnat de France
Le club connaît son heure de gloire en 1958. Cette année-là, Lucien Mias et ses coéquipiers atteignent la finale du championnat de France. Le Sporting élimine Vichy en 16e, l’Aviron bayonnais en 8e, Grenoble en quart et le Paris université club en demi avec 80 points marqués pour seulement 9 concédés. Il atteint ainsi la finale du championnat.
Cette finale oppose, au Stadium à Toulouse, les bleu et noir à Lourdes. Le club de la cité mariale joue les terreurs dans les années 1950 avec deux titres en 1952, 1953, une finale perdue en 1955, et deux nouveaux titres, en 1956 et 1957.
Cette finale soulève les passions. Elle est d’abord vue par les médias de l’époque comme l’opposition de deux styles : le jeu à la «lourdaise» fait de mouvement et le rugby plus «académique» des Mazamétains qui s’appuie sur le combat, le franchissement et la technique du jeu d’avants.
Elle est aussi l’opposition de deux des plus grands «leaders» de jeu que le rugby français ait jamais connu : Jean Prat, «monsieur rugby», et Lucien Mias «docteur pack».
Le Sporting battu en finale par Lourdes 25 à 8
Le 18 mai 1958, devant près de 40 000 spectateurs, le «miracle» attendu ne s’est pas produit. Le Sporting s’incline sur le score de 25 à 8.
Pourtant dans cette finale, ce sont les Mazamétains souvent dominateurs par leurs avants qui feront le jeu.
Le journal «La Montagne noire» dira : «Le Sporting succombe avec panache» et fustigera le rugby lourdais : «Les bleu et noir sont malheureux dans leurs tentatives, pour une large part imputable à la position à l’extrême limite du hors-jeu voire carrément hors jeu des Lourdais.»
À la sortie des vestiaires, Lucien Mias interpellera Jean Prat : «Toi, ce n’est pas Monsieur Rugby qu’on devrait t’appeler. Tu es Monsieur Anti-Rugby.» On prête à Jean Prat cette réponse révélatrice : «Regarde le planchot !»
En guise de consolation le Sporting remportera cette année-là le prestigieux Challenge Yves du Manoir en battant en finale Mont de Marsan et après avoir, en demi-finale, éliminé… Lourdes !
L’équipe de la finale
Face aux «stars» lourdaises, Mazamet alignait : Dominique Manterola, Guy Lacoste, Georges Bienes, André Masbou, Lucien Mias, Yvan Duffour, Aldo Quaglio, Jean Arrambide, Jacques Serin, Emile Duffaut, André Fort, Maurice Pastre, Guy Roques, Jacques Lepatey, Etienne Jougla.
Lucien Mias : «Nous n’avons pas pu exprimer nos qualités»
La formidable décennie du rugby mazamétain, dont cette finale est l’apogée, est avant tout une œuvre collective dans une ville en plein essor économique.
On pourrait citer le président Jean Fabre, qui avait su réunir une pléiade de très bons joueurs : Lepatey, Quaglio, Serin, Arrambide, Masbou, Jougla, pour ne citer qu’eux. Ils étaient tous à leur poste des références du rugby de l’Hexagone.
Mais cette réunion de talents n’aurait sans doute pas été ce qu’elle a été sans cet extraordinaire fédérateur, ce meneur d’hommes incomparable qu’était Lucien Mias, le capitaine du Sporting.
Lucien mias : «Docteur pack» et meneur d’hommes
Lucien Mias dit parfois haut et fort ce qu’il pense ! C’est vrai pour le rugby pour lequel, 60 ans plus tard, il est encore une référence. C’est vrai aussi pour sa vie professionnelle, qui a fait de lui un spécialiste unanimement reconnu de la gériatrie humaniste.
L’instituteur du début des années 50 avait quitté son poste pour démarrer tardivement des études de médecine et terminer major de sa promotion à la faculté de Médecine de Toulouse.
Joueur charismatique, il est l’instigateur de quelques innovations techniques qui ont à leur époque révolutionné le jeu d’avants. Mais il est avant tout un grand meneur d’hommes, qui sait s’appuyer sur la force d’un groupe, d’un collectif.
Avec son compère de l’ombre André Masbou, avec Aldo Quaglio et tous les autres, le pack mazamétain était redoutable.
Lucien Mias sera un peu plus tard l’un des héros du livre écrit par Denis Lalanne, «Le Grand Combat du quinze de France», racontant l’épopée de la tournée en Afrique du Sud.
L’équipe de France dont il était capitaine terrasse les Springboks sur leurs terres.
«Nous n’avons pas pu exprimer nos qualités»
Lucien Mias nous a livré son analyse de la finale perdue du championnat de France : «Nous étions confiants. Un peu trop peut-être ? La semaine précédente nous avions fait match nul en demi-finale du «Du Manoir» et c’est nous qui avions été qualifiés. Nous les avions dominés en touche, mais ils avaient retenu la leçon et ils s’étaient bien préparés. Ils nous ont embêtés dans ce secteur. Derrière, nous n’avons pas joué à notre niveau habituel. Mais surtout ils étaient habitués à ce genre de rencontres : c’était leur sixième finale consécutive ! Et ils possédaient à tous les postes de très grands joueurs.»
De sa retraite audoise, Jacques Lepatey, l’ailier dynamiteur du Sporting, nous a confié sa frustration : «On avait fait une saison magnifique. On y croyait, on avait de très grands joueurs et un grand fédérateur Lucien Mias. Mais ce jour-là, on n’a pas donné notre pleine mesure.»
Étienne Jougla, le Mazamétain, regrette encore son coup de pied contré qui a amené le premier essai lourdais : «Jean Prat était hors-jeu, c’est évident. Ils ont mené au score d’entrée et cet essai a peut-être tué le match.» Mais il garde d’excellents souvenirs de cette époque : «J’ai eu la chance de jouer avec un grand monsieur, Lucien Mias. Nous sommes restés amis et il nous arrive quelquefois d’évoquer ces souvenirs mais avec le sourire…».
Dans «Un siècle d’histoire à Mazamet», la Montagne noire raconte : «Une fois la déception passée, le «tout Mazamet» ne tarissait pas d’éloges pour son équipe qualifiée de «fière, héroïque, courageuse et pleine de panache».
Un mouton bleu et noir sur la pelouse
André Lucas est un supporter indéfectible du Sporting Club mazamétain : «Depuis 1947, j’ai assisté à toutes les rencontres du Sporting à La Chevalière !» Alors la finale il ne l’aurait manquée pour rien au monde : «On avait rendez-vous devant le Café de France. On est parti le matin. Il y avait au moins une dizaine de cars. J’avais comme tout le monde mon drapeau noir et bleu. Jacqueline, devenue depuis son épouse, était elle aussi à la finale. Elle avait même un bonnet aux couleurs noir et bleu qu’un artisan local avait confectionné.
L’ambiance au stade était extraordinaire : «Nous étions beaucoup plus nombreux que les Lourdais, peut-être dix mille ou quinze mille, car c’était une partie du Tarn qui était Mazamétaine. On avait même amené un mouton peint en bleu et noir qui a fait le tour du stade !»
La déception a été à la mesure de l’espoir suscité par cette finale. «Tout le monde pensait qu’on allait gagner. Mais voilà, les Lourdais étaient constamment hors-jeu ! Quant à l’arbitre, c’était un des plus mauvais que j’ai jamais vu. Il ne pouvait pas courir…» Jacqueline se souvient que la déception était si grande que le car est reparti très vite : «On était une dizaine, il ne nous a même pas attendus !»
«Cette équipe nous a fait rêver…»
«Kiki» Vaissières avait 9 ans quand il a vu son premier match de rugby. Excepté pendant les quatre mois de son opération, il a toujours assisté à tous les matchs… Il a maintenant 79 ans ! Depuis plus de quarante ans, il vend les billets de bourriche à l’entrée du stade. Ce supporter inconditionnel était bien sûr à la finale : «Quelle ambiance, on a fait une fête monstre. On y croyait vraiment et on a été très déçus. Mais cette équipe nous a vraiment fait rêver pendant plusieurs années avec des joueurs extraordinaires.»
Le Sporting en 2018 : Une ambition raisonnée
Après l’apogée de 1958, le Sporting a continué pendant quelques années à jouer les premiers rôles. Mais en 1970, le club est relégué en 2e division. En 1985, sous la présidence de Claude Pujol, aujourd’hui encore responsable du secteur sportif, le Sporting est sacré champion de France de 2e division. L’équipe comptait dans ses rangs quelques très bons joueurs avec à leur tête un capitaine que bien des clubs plus huppés convoitaient : Patrick Ruiz.
Il y avait aussi un certain Jean-Bernard Bergès qui sera quelques années plus tard champion de France avec les «grands» du CO. Après quelques passages en fédérale 1, le club s’est aujourd’hui stabilisé en fédérale 2.
Au cours des trois dernières saisons, la qualification est venue récompenser l’excellent parcours. Lors des deux dernières saisons, c’est pour le match de la montée que les «bleu et noir» ont échoué, mais l’objectif avait été atteint.
Après un très long bail à la présidence, Patrick Ruiz a pris un peu de recul. Laurent Cabrol est arrivé appuyé par Daniel Rouanet qui reprend du «collier» pour la saison prochaine. Le duo de présidents fait toujours de la qualification pour les phases finales l’objectif majeur. Le passage à l’échelon supérieur fait toujours aussi peur, les moyens économiques étant aujourd’hui, à ce niveau, indispensables à la réussite sportive.
La qualification et après ? La montée apparaissait comme un épouvantail annonciateur de jours sombres. Le discours semble avoir quelque peu évolué : «si ça arrive on prendra et on assumera», entend-on du côté des dirigeants.
Solide sur ses bases, le Sporting semble avoir retrouvé une ambition... raisonnée.
Carmaux et ses cinq titres de champions de France
20 mai 1951. Le jour le plus beau du sport carmausin. Au terme d’une finale épique, les Tarnais s’imposent face aux favoris Tarbais. La gloire est là pour le club qui décrochera en 1972 le titre de 2e division face à Nice et de 3e division face à Saint-Junien en 1995.
Ils n’en sont pas peu fiers de leur histoire, les Carmausins. Bien sûr, il y a eu la mine, ses combats, les grandes grèves, Jaurès. Mais il y a aussi le temps glorieux du rugby. Et le déroulé des succès est impressionnant. Champion de France en 1951 face à Tarbes. Champion de France de 2e division face à Nice. On continue. Enfin champion de France en catégorie Balandrane (juniors). C’est le seul club en France avec Quillan à avoir décroché le bouclier dans trois catégories différentes.
Alors oui, il y a de quoi être fier, pour cette cité.
Un passé immense et un présent difficile. Car aujourd’hui, on ne parle plus Top 14 ou Pro D2, stade plein, mais série régionale devant une poignée d’irréductibles supporters. Mais faisons un retour en arrière.
1951. L’équipe carmausine, c’est du solide, composée en grande majorité de mineurs de fond. Des hommes vaillants, rudes, solidaires. L’expression «aller la mine» voulait encore dire quelque chose pour ces garçons. Et puis il y a Aué, troisième ligne de feu et buteur sans faille, qui fera de cette finale, sa finale en inscrivant les 14 points victorieux de son équipe.
Mais revenons à la genèse. Évidemment, au début de la saison, personne ne voyait ce groupe lever le bouclier de Brennus. Et pourtant. l’incertitude du sport a marché à plein. La phase régulière se termine. Carmaux est premier de sa poule. En quart, ce sera Agen. Le morceau est avalé après un rude combat. L’appétit vient en mangeant. Lourdes est éliminée. Toulon et Lyon sont passés à la trappe. Alors. La demi-finale se déroule à Béziers face à Montferrand. Là aussi, ce sera un féroce combat, une lutte sans merci. Un vent violent s’est levé. Des bourrasques salvatrices pour les Tarnais. La dernière pénalité pour les Auvergnats ne passera pas entre les pagelles, déviée par éole. Les bras se lèvent. Le public est en transe. Les yeux sont rouges. Oui Carmaux est en finale. Une dernière marche, la plus rude, la plus rude. Une finale, ça se gagne. Car l’histoire ne retient que le nom du champion, pas du perdant.
Ce dimanche 20 mai 1951, seuls les chats et chiens peuplent la cité minière. Pères, mères, grands-parents, enfants sont tous à Toulouse pour garnir les tribunes du Stadium. 47 000 personnes sont présentes. Du jamais vu. Un record inégalé. L’adversaire et favori, c’est Tarbes. Et alors. Ce n’est pas cela qui va faire leur faire peur à ces diables de Carmausins. Ni la pression de toute une ville, ni les regards arrogants de leur adversaire n’ont prise sur eux. Ils savent que c’est leur année, celle qu’il ne faut pas louper, celle d’une vie de sportive.
Quand arrive l’entrée au stadium, ou chaque place, chaque minimètre sur le bord de touche, sont pris d’assaut. Une ville entière veut ce titre, ce bouclier, ce bout de bois, montrer à la France entière l’âme de ce peuple fier, travailleur, social. Ils partirent 15, ils finirent 15.
À cette époque, les remplaçants n’existaient pas. Éreintés, usés mais heureux, fiers. Une fierté qui a duré une éternité. Oui Carmaux est champion. La fête et la célébration furent à la hauteur de cet extraordinaire exploit d’une petite cité devenu le centre de la France rugbystique.
Raymond Carrère : «Nous avons eu notre part de chance»
Raymond Carrère. Un nom, une histoire des titres. Il faisait partie de l’équipe qui fut championne de France en 1951. À 93 ans, il a gardé son verbe, son franc-parler, ses anecdotes, se rappelant de tout, de chaque action de la saison, de chaque instant de ce jour de liesse du 20 mai 1951.
«Je ne suis pas natif de Carmaux, ni mineur. Désolé» sourit Raymond. Carcassonnais de naissance, il apprend le rugby en terre audoise, d’abord à XV puis à XIII où il fut champion de France en Équipe 2. «Pourquoi alors débarquer à Carmaux. C’est Combettes que je connaissais qui m’a dit de venir. C’est dit OK pour un an. Et puis, je suis resté.» Notre pilier s’installe comme marchand de pneu dans la cité minière. Mais revenons au rugby et à cette saison 1950-1951. «Avait-on une grande équipe ? Je ne crois pas. Par contre, il y avait une solidarité énorme.
Et puis une grande partie des joueurs étaient des mineurs. Il fallait voir leur gabarit pour l’époque, la taille de leur main. Je peux vous promettre qu’il fallait mieux les avoir avec soi que contre.» Un groupe solide, très solide, qui ne se laisse marcher dessus par personne. «Une autre époque où il n’a pas de caméras. Il fallait garder le regard bien droit sur l’action… Sinon.» Raymond s’en amuse. Je me rappelle que Pailhous n’arrêtait pas de demander aux entraîneurs de jouer en troisième ligne. La réponse était toujours négative. jusqu’à une rencontre face à Niort. Face à nous, il y avait un formidable centre. L’entraîneur réplique à Pailhous. «Si t’arrive à le choper et le sortir du terrain, tu as une place en troisième ligne.» Ce qui fut fait. Une autre époque, on vous dit. Les matchs passent. Carmaux se fait une réputation de dur à cuire. Arrivent enfin les phases finales. Les Tarnais affrontent Agen sur le terrain de Lourdes. Les hommes d’Aué passent le cap avec un score à l’ancienne (5-0).
C’est Montferrand qui se présente sur la route de la gloire. «Très belle équipe. Surtout, il avait une charnière énorme. On les surnommait «les pieds d’or». Mais nous sommes à Béziers. Le vent est d’une rare violence. Carmaux tient le choc alors que Montferrand ne peut profiter de ses buteurs. Nous sommes à quelques minutes de la fin. Le score est de 11-9. Les Auvergnats poussent encore et encore. «Face à l’avancée des Clermontois, je suis obligé de pousser avec les mains le ballon en touche. On prend une pénalité sur le côté des poteaux» se rappelle l’ancien pilier. Raymond Carrère regarde ses coéquipiers. «J’avais peur de faire perdre le match. Mais dans les yeux de mes coéquipiers, il y avait la confiance, la certitude que cette pénalité était impossible a réalisé à cause de ce vent violent.» Montferrand tente. «On a regardé la pénalité s’envoler. Mais avec la puissance du vent, le ballon a été freiné, a changé de ligne et il est passé devant les poteaux. On est en finale, avec il faut le reconnaître une part de chance, comme l’équipe de France qui vient de décrocher la Coupe du Monde.»
La finale arrive avec comme terre d’accueil, le Stadium de Toulouse. «Pour la première fois, on est parti le vendredi, direction un hôtel de Rabastens avec le bus de la mine, pour être entre nous» se souvient le pilier droit. «Le lendemain, on est allé à Toulouse pour prendre nos marques au Stadium. En arrivant, on a croisé les Tarbais. «Il y avait l’arrogance des favoris dans leurs yeux, pensant -c’est quoi ces Carmausins qui sont en finale.- On a tous pensé la même chose. Ils vont moins rigoler demain.» Puis c’est le retour à l’hôtel. Le soir, Aué nous dit : “Je marque tous les points, faites le reste”. C’est ce qu’il a fait en inscrivant les 14 points de la victoire.
Le lendemain, le stadium est plein comme un œuf avec 47 137 spectateurs. Un record d’affluence qui n’a jamais été battu. Il faut dire que les mesures de sécurité n’étaient pas les même et que les différents travaux du stade ont diminué sa capacité. «On a réalisé un sacré match pour faire tomber ces Tarbais. Le combat a été rude en mêlée. Mais, on l’a fait. On était champion de France.» Le public exulte et pour les joueurs, la troisième mi-temps a duré plusieurs jours. «Je ne comprends pas. Aujourd’hui, les rugbymen sont à la bière. Nous, c’était le pastis. C’est quand même meilleur.» De rugbymen, ils deviennent héros. «C’est fou, encore aujourd’hui, on l’appelle Monsieur Carrère» sourit-il.
Et l’année d’après, les carmausins visaient-ils un nouveau titre. «Le premier match, c’était à Graulhet. Et on a pris cher. On n’était pas là, pas présent sur le combat. C’est certainement l’effet Champion de France. La suite de la saison ne sera pas plus glorieuse.
«C’est comme cela. Pas grave. Au moins, on a ramené le bouclier dans les rues de Carmaux. C’est là l’essentiel» conclut fièrement Raymond Carrère en touchant avec douceur de ses doigts, la photo de cette équipe mythique.
Thierry Rataboul : «Soutenir et aider ce club est un sacerdoce»
Thierry Rataboul fait partie de ces hommes indispensables au quotidien d’un club de rugby. Et l’USC, il l’a dans la peau.
«Je n’ai évidemment pas connu la finale de 51. Mais j’ai suivi l’aventure qui amena notre équipe à décrocher le titre de champion de France de 2e Division. Ce fut une belle aventure d’être dans les tribunes pour ses phases finales. J’avais 14 ans à l’époque.»
Thierry se rappelle des voyages en Aronde «En finale, on a battu Nice qui avait dans leur rang les frères Herrero. Je peux vous dire qu’il y avait du lourd en face. mais le titre, c’est Carmaux qui l’a ramené» se rappelle fièrement Thierry.
«Je n’ai pas joué longtemps au rugby à cause, on va dire, d’un différent avec l’entraîneur des cadets de l’époque. Du coup, je suis partie faire du «basket.»
Mais le virus est là. «Très vite, je me suis intéressé aux équipes de jeunes. Au départ, j’ai donné un coup de main comme soigneur des cadets.» Puis, c’est vers l’école de rugby qu’il se dirige. «Un vrai bonheur de diriger ces gamins dont certains ont réalisé de très belles carrières comme Fred Manca, Jean-Marc Aué, Carayon.» Notre bénévole touchera toutes les strates du club. Il sera dirigeant, même speaker. «Aider et soutenir ce club est pour moi un sacerdoce. Je ne pourrais pas vivre sans cela. C’est dans mon ADN.»
Aujourd’hui, c’est lui qui s’occupe de négocier pour acheter l’ensemble des équipements du club. «Je fais attention, sinon la trésorière va me taper sur les doigts» sourit-il.
Et lui, le passionné, l’amoureux de ce club à cinq étoiles, que pense-t-il de l’évolution de ce club qui après connu la gloire des grands matchs, vit aujourd’hui dans l’anonymat de la promotion honneur du championnat des Pyrénées.
«C’est vrai que la chute au fil des années a été importante. C’est le lot des villes comme Carmaux qui ont vécu d’une mono industrie du charbon durant des décennies. À l’époque, il y avait de l’argent, du boulot pour attirer de bons joueurs. Aujourd’hui, la ville est une cité-dortoir et des retraités. On a un mal fou à garder les jeunes» avoue Thierry.
Qu’importe. Le moral est bon. Il prépare avec ces potes la bodega du rugby pour les fêtes de la Saint-Privat. «le club est bien vivant. Je suis confiant pour l’avenir. L’USC a encore de belles décennies devant elle.»