Inondations de juillet 1977 : 40 ans après, le Gers n'a rien oublié
Quarante ans après, quelles sont les dernières images qui émergent encore du 8 juillet 1977 ? Une ville dévastée par un torrent de boue et de pluie, anéantie par une guerre en temps de paix, une ville muette et silencieuse quand la nuit a enveloppé le désastre, pas de lumière, seuls quelques éclairs bleus portés par des ambulances aphones. Auch a déjà pris conscience de la catastrophe, même si au petit jour elle se révélera bien plus grave.
Mais au-delà de toutes ces images, il y a cet élan généreux de solidarité qui se manifeste spontanément dès la première montée des eaux. Une entraide naturelle envers les plus faibles. De nombreux Auscitains se muent en sauveteurs aux côtés des sapeurs-pompiers, participent avec des barques de fortune à l’évacuation de personnes réfugiées dans les derniers étages ou sur les toits, puis pour ceux qui le peuvent, rentrent chez eux. C’est la solidarité des gens simples qui ouvrent leurs portes pour accueillir les premiers sinistrés.
C’est de ce même élan que viendront les premiers hélicoptères qui survoleront la ville engloutie. Leur mission est simple : évacuer vers la haute colline de l’hôpital les employés d’un supermarché. Le patron n’a pas un instant hésité à préciser : «Et s’il vous reste du carburant, sauvez les autres…» En ces premières heures, l’État est absent… Et tout naturellement l’action de Protection Civile naît de la solidarité. Le plan Orsec ne sera déclenché qu’en début d’après-midi. Les hélicoptères, militaires, n’apparaîtront qu’après le milieu de journée.
Le numérique attendra encore une trentaine d’années, il faut donc trouver des lignes téléphoniques. La fabrication du numéro du 9 juillet 1977 de «La Dépêche» est aussi le fruit de cette solidarité… Celle de ce patron qui laisse les clés de son entreprise où fonctionne encore une liaison, celle de ce chauffeur qui dépassera la crue pour faire passer des photos… Un journal qui sera entièrement dicté à une chaîne de sténos et qui finira par arriver en cours de matinée, débarqué depuis un hélicoptère…
Dans les jours qui suivront, à la spontanéité, succédera une solidarité organisée avec une parfaite efficacité, que ce soit des dons, l’intervention de techniciens dans les domaines les plus divers, des opérations de communication, le Gers martyrisé se relèvera plus vite.
Et si la grande leçon du 8 juillet 1977 était la Solidarité ?
Un long format de la rédaction :
Réalisation : La Dépêche Interactive
Textes : Marie Le Guillou, Blanche Pujos et Jean-Michel Dussol
Photos : archives DDM - Vidéos : archives INA
Saint-Martin : ils vivaient sur l’eau
Pour certains la seule fuite possible c'est le toit./ Photo DDM, Jean-Michel Dussol
Jean Breuil était chef d’usine à la station de pompage d’eau potable de Saint-Martin en 1977. Il vivait au-dessus de l’eau avec sa femme et ses deux jeunes enfants.
« Habituellement, l’eau passait sous la chambre, la salle à manger. Les alarmes sonnaient dans la maison quand il fallait réguler son débit, ouvrir ou fermer les vannes »
Le 8 juillet, ils échappent au pire. « J’étais en congé, je l’ai appris par les infos et je suis venu de Monaco dans la nuit ». C’est par la fenêtre qu’il accédera à son logement, juste en face de l’usine. « Il y avait de la boue partout ».
Mais c’est d’abord de l’usine qu’il faut s’occuper : fournir de l’eau potable aux habitants sinistrés est sa priorité, une urgence vitale. « On s’est mis au travail le lendemain mais rien ne fonctionnait. L’usine était pleine d’eau et de saleté ». Tout a été lavé avec un camion hydrovide (pour déboucher les égouts), puis soufflé avec un compresseur. « Mais tous les outils électroniques étaient encore en panne. Quand on a mis le transformateur en marche, il y avait encore des téléviseurs dans l’usine, arrivés du supermarché Monlaur ». Après des jours de travail, avec l’aide d’employés de tous les départements environnants, l’eau a pu circuler à nouveau dans le réseau.
L’eau du Gers a fini de nettoyer ses propres dégâts
« Plus on donnait de l’eau, plus on nous en demandait. Avant que tout ne revienne à la normale, on devait faire couler l’eau dans un bac où on rajoutait du chlore, manuellement ». 15 jours de travail seront nécessaires avant que tout ne fonctionne à nouveau. En ville, des camions-citernes étaient venus distribuer de l’eau aux Auscitains. Et c’est enfin l’eau du Gers qui a servi à finir de nettoyer ses propres dégâts.
« Comme il me fallait rester vivre près de l’usine, on a vécu dans une caravane, à Saint-Martin, pendant deux ans ». Le moulin qu’ils habitaient pendant la crue était devenu invivable. Quand son épouse décrit cet ancien logement de fonction, c’est par un détail : il n’y avait pas de sortie sur le toit. Comment, dans ce cas, auraient-ils pu se mettre à l’abri en attendant les secours ? « On avait décalé nos vacances au dernier moment, mais on aurait dû être chez nous, et sûrement ne plus être là pour en parler ».
Habituée à des crues régulières, la jeune maman aurait certainement mis trop longtemps pour se rendre compte du danger. « Lors des inondations précédentes, je poussais l’eau avec le balai et communiquais avec mon mari pour savoir. On avait déjà eu 2 m dans la salle à manger ». Aujourd’hui, le couple à la retraite vit sur les hauteurs, à Pavie.
Auch : un drame «impossible à prévoir»
Les Auscitains réfugiés en haute ville assistent impuissants à la montée des eaux. C’est depuis le haut des Escaliers monumentaux qu’ils virent l’une des 5 victimes d’Auch se faire emporter avec le pont qu’il traversait./Photo DDM, archives
« À 10 heures, le 8 juillet, je suis sur les berges du Gers, en face de l’église Saint-Pierre, avec le maire Jean Laborde ». À l’époque, Jacques Maxch travaille à la direction départementale de l’agriculture. Son service fait état, avec un ingénieur hydraulique, d’une crue en cours, similaire aux nombreuses autres que le Gers a connues. « Rien n’était automatique à l’époque, on ne pouvait pas savoir que presque 200 mm d’eau étaient tombés sur les coteaux ».
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Dans un rapport de la Compagnie d’aménagement des Coteaux de Gascogne, paru en octobre 1977, on apprend qu’« entre les mois de mai et juin, il est tombé sur la Gascogne près de deux fois plus de pluie qu’en période normale ». Les sols sont gorgés d’eau, saturés. Le 7, courants d’airs froids et chauds se rencontrent et forment des masses nuageuses chargées de pluies. Mais aucun vent ne pousse au loin cette perturbation, comme c’est habituellement le cas. La première averse en serait restée au niveau de la crue de 1952. Mais la deuxième, entre 11 et 13 heures, fait monter les eaux du Gers de plus de 3 mètres en 45 minutes. « La perturbation a déversé en 15 heures près de 460 millions de mètres cubes d’eau sur ces 4 000 km2 de Gascogne », dit encore le rapport.
JT intégral du 9 juillet 1977 (sujet en ouverture) :
À Auch, il est presque midi quand la sirène retentit. Des appels alarmants préviennent qu’une vague de 2,50 m a traversé Masseube puis Seissan. « On nous dit de quitter les locaux qui étaient au foirail, reprend Jacques Maxch, qu’on ne pourrait bientôt plus traverser pour rentrer à Aubiet ». Il prend sa voiture et traverse le pont Bailey vers la halle Verdier. « C’est à ce moment que j’ai vu arriver la vague. J’ai braqué à gauche, coupé par le parc et j’ai rejoint le pont Saint-Pierre. Le pont Bailey lâchait quelques minutes après ».
En ville, des rumeurs circulent. Certains pensent que des barrages ont été ouverts dans les Pyrénées. « C’est une absurdité, comment l’eau aurait-elle pu passer le plateau de Lannemezan ? » L’ancien technicien estime que les travaux réalisés depuis mettent Auch à l’abri des crues décennales. « Mais pour se protéger d’une crue comme celle-ci, c’est toute la basse ville qu’il faudrait raser… ».
Des commerces durement touchés
Avenue d’Alsace, l’eau monte./ Photo DDM Archives
À la fin du mois de juin 1977, Yves Maffre termine ses études et entre avec enthousiasme dans l’entreprise familiale, l’imprimerie du Prieuré. « Ce vendredi 8 juillet, à 10 h 30, le cauchemar. L’eau n’arrête pas de monter. Nous partons par les toits pour rejoindre la rue Charras, derrière le boulevard Sadi-Carnot qui, vers 11 h 30 était une rivière en furie ». Habitants du Garros, la famille Maffre ne peut pas rentrer et est hébergée chez des proches. « C’est le lendemain matin que nous avons vu les dégâts, 3 mètres d’eau dans le magasin, on avait tout perdu. J’ai beaucoup pleuré ».
JT du 11 juillet 1977 (sujet à 13:44 min) :
Comme pour beaucoup de commerces de la basse ville, le chantier de nettoyage prendra du temps : 16 heures par jour, à 12 personnes pendant un mois. Contrairement à d’autres activités du quartier, en contractant de nouveaux crédits, l’imprimerie du Prieuré a pu se relancer. « J’ai travaillé pendant 15 ans, 14 à 16 heures par jour sans vacances pour remonter et rester en vie ». Une implication professionnelle qui lui vaut, en 2007, de sérieux problèmes de santé.
«Si l’imprimerie est encore en vie, c’est certainement à cause de ces inondations»
« Les jours suivants, les bénévoles de la Croix-Rouge nous apportaient de l’eau et des sandwiches, ça faisait tellement de bien… »
Les dégâts sont si importants qu’il leur faudra trois jours pour atteindre le fond du magasin. « Le courant a réussi à déplacer une machine de 2,5 tonnes sur 5 m… ». Pour l’entreprise, c’est une perte de 80 millions d’anciens francs, 123 000 €.
« Finalement je me dis que ces inondations subies à l’âge de 18 ans m’ont permis d’avoir eu dans ma vie cette pugnacité et cette force de me battre et d’être toujours dans la gratitude et l’aide aux associations. Et si le Prieuré est encore en vie aujourd’hui, alors que 70 % des imprimeries en France ont disparu, c’est certainement à cause de ces inondations du 8 juillet 1977 ».
À l'hôpital psychiatrique...
Quelques jours plus tard, pose des câbles téléphoniques au-dessus du Gers./Photo DDM, archives
Marie-Thérèse Lê-Quang était docteur à l’hôpital psychiatrique, responsable du « secteur Nord ». Elle vivait alors dans l’hôpital avec ses quatre enfants et son mari. Quand l’eau monte, elle est en consultation et il faudra plusieurs avertissements d’un patient apeuré avant qu’elle ne sorte constater les dégâts. « Je m’avançais vers la voiture, mais j’avais de l’eau jusqu’au thorax ». Son mari, qu’elle appelle, ne la croit pas depuis son cabinet près de la gare. « L’eau arrivait à mi-porte de la maison ! » Heureusement, leurs enfants sont en vacances en Allemagne. Il finit par sortir et, pour la rejoindre, nage au-dessus du portail de l’hôpital…
« Quand il rebrousse chemin, il est happé par des gens au premier étage d’une maison, en face de l’hôpital. Et je n’ai aucune nouvelle. Jusqu’à 20 heures. J’ai très peur »
Entre-temps, la chef de service « ramasse les malades autour de moi à l’hôpital et je les mets à l’abri au deuxième étage de ma maison. J’avais cinq ou six malades que j’essayais de calmer. L’eau monte jusqu’à 4,47 m. Alors, quand les pompiers me rendent mon mari dans la soirée, et que l’eau commence à descendre, c’est un vrai soulagement… »
13 juillet 1977 : Inondations dans le sud ouest - Déclaration de Raymond BARRE (lors du Conseil des ministres) annonçant des mesures en faveur des sinistrés du Gers + images d’archives des inondations :
Le personnel, dans le même temps, avait réussi à transférer les autres malades aux étages. Certains, âgés ou handicapés, ont été héliportés à l’hôpital d’Auch. D’autres « qu’il fallait mettre en sécurité » ont été envoyés à Agen et Tarbes quand l’eau est redescendue. « Il faut rendre hommage au personnel soignant, qui est resté plusieurs jours auprès des malades ».
Les jours suivants, les patients du service libre sont accueillis à Pardailhan, « on y a fait les consultations jusqu’en septembre ».
On envisageait de fermer l’hôpital
C’est alors que la direction, vu les dégâts, pense fermer l’HP. Tous les rez-de-chaussée étaient détruits. Mais pour le Dr Lê-Quang, c’est inenvisageable. « On avait encore un outil de travail, des malades, 3 ou 400 personnes qui y travaillaient. J’ai fait des pieds et des mains pour ne pas fermer. J’ai demandé aux employés de mon service de redescendre. Et on a passé notre temps à moitié en consultation, et à moitié à nettoyer l’hôpital. En une semaine, c’était impeccable ». Les autres services suivent, et si le médecin ne peut pas retourner chez elle, en septembre, les malades réintègrent la structure.
Comme les autres sinistrés, le couple a beaucoup perdu. « Depuis l’étage, quand les torrents d’eau passaient encore devant ma fenêtre j’ai vu flotter les cartables de mes enfants, la bibliothèque… Notre vie était pleine de boue. Heureusement, on était en train de construire, avenue Mendès-France, et l’eau n’était pas montée jusque-là. Le soir-même, dans cette maison vide, mon mari, qui avait sa recette du jour dans les poches, avait tendu un fil. J’ai toujours le même fou rire nerveux que ce soir-là quand je nous revois faire sécher les chèques et les billets au milieu de rien ».
Son bébé de 2 mois héliporté à Montestruc
Montestruc le long de la route du stade./Photo DDM, Florent Carly
Elle n’avait pas 30 ans et travaillait dans la pharmacie au-dessus de laquelle elle vivait. Thérèse Vigneau était également l’heureuse maman d’un bébé de 2 mois. « Je n’ai pas compris qu’on vienne nous dire de partir à 15 heures alors qu’il ne pleuvait plus depuis midi. J’ai commencé à monter quelques petites choses à l’étage mais sans vraiment prendre peur ». Avant même que la digue ne cède, le Gers se répand par la route, reprend son lit initial au « chemin du vieux Gers ». « J’étais avec ma préparatrice, Maguy, à l’étage. L’eau était montée très vite et on entendait les meubles du rez-de-chaussée taper contre les murs et le plafond ». Depuis son balcon, la jeune femme observe, médusée, le torrent qui a remplacé sa rue. « On voyait des serpents, des micro-ondes, des livres… Et à un moment, ma cuve de gaz. ça doit peser près d’une tonne ces choses-là… J’ai vraiment cru qu’on allait mourir, des eaux ou à cause d’une explosion ».
Quand elle aperçoit les premiers hélicoptères en action dans le quartier, Thérèse comprend vite que les nacelles utilisées pour le treuillage ne seront d’aucune aide à son fils…
« Ils ont été formidables : l’hélicoptère est resté en vol stationnaire à l’aplomb du toit. Il n’y avait plus qu’une marche de 50 cm pour y monter. Un militaire est venu près du velux et a aidé Maguy à monter. Je lui ai ensuite confié mon bébé, emmailloté dans une couverture orange. Il m’a laissée monter sur le toit puis dans l’engin, avant de me tendre mon fils. Je l’ai saisi mais, au même moment, la couverture est tombée… Nous étions sains et saufs mais ç’a été un moment de terreur pour tout le monde ».
Il sauve une fillette de la noyade
« Manu » sortait de chez lui, rue des Cigognes, pour rejoindre Sainte-Bernadette, où les habitants de la rive droite se réfugiaient pour fuir les eaux. Il entend alors les pleurs d’une fillette. Elle a 3 ans et se tient debout sur une murette. « J’avais de l’eau jusqu’aux genoux mais le temps d’arriver à sa hauteur, quelques secondes, j’étais immergé jusqu’au thorax. » Il la rejoint sur ce muret et la fait grimper tant bien que mal sur ses épaules. Ils arriveront à « la Boubée » sains et saufs avant qu’un couple ne recueille la fillette. À cet instant, la mère de la petite fille ne sait rien de ce sauvetage.
Quand l’eau a commencé à monter, sans réaliser l’ampleur de la crue, elle avait confié sa fille à des voisins qui se rendaient à Sainte-Bernadette, pour pouvoir monter quelques affaires à l’étage de la maison. Quand elle les retrouve sur les hauteurs, ils lui avouent, les larmes aux yeux « On n’a pas pu la prendre… ».
« En un clin d’œil, ma vie entière s’écroulait ». Elle part à la recherche de sa fille au quartier de la Hourre, hurle son nom. Sans succès. « De retour à l’église, un homme me dit que ma fille est chez eux. Je lui en serai reconnaissante toute ma vie », témoignait-elle dans nos colonnes. C’est d’ailleurs par le biais de ce témoignage qu’elle rencontrera, 30 ans plus tard, celui à qui elle doit la vie de son enfant. « Manu » da Costa, lui, même s’il a été marqué par cet épisode, « n’a fait que sortir une fillette de l’eau ».
Castéra annoncée «rayée de la carte» refuse de mourir
Plus de 170 hélitreuillages ont eut lieu le 8 juillet./Photo DDM Archives
« Partez, l’eau me suit. Il était en short et en débardeur, ce monsieur qui montait la rue qui mène au magasin que nous tenions avec mon mari » : Mme Rinaldi raconte cet épisode resté intact dans sa mémoire. « Mais qu’est-ce que cela voulait dire ? L’eau me suit… Mon mari est parti à la réserve, moi je suis allée aider d’autres commerçants un peu plus bas, et en 15 minutes, l’eau est arrivée, comme un boulet de canon ! On est monté à l’étage, puis sur le toit. » Le matin, il n’y avait rien, et le soir, l’eau qui avait ravagé la ville repartait déjà.
M. Tobbie, âgé maintenant de 89 ans, se souvient très bien du passage destructeur de l’eau. Il était radioélectricien à l’époque. Les gens étaient venus l’aider à monter les appareils électroniques en hauteur dans son garage. Sauf que l’eau n’a pas atteint les 25 cm attendus, mais 1,50 est arrivé d’un coup. Et quelques minutes plus tard, une seconde vague de la même taille a englouti le garage entier, dévorant même le plafond. « J’ai dit à toutes les personnes qui étaient là de me suivre, on est monté sur le toit de ma maison. J’en ai fait passer 5 aux hélicoptères de l’armée qui venaient chercher les habitants perchés sur les toits ». Lui est resté là jusqu’à 21 heures, pour essayer de communiquer avec son beau-père, coincé à l’étage de la maison de la rue d’en face. Perché en haut d’une maison qui tremblait, face au spectacle de la boue qui passait dans la rue en emportant tout : des voitures, des morceaux de bois, des animaux, « il fallait porter sa voix plus fort que le vacarme de l’eau ». Il y eut beaucoup de chanceux, comme celui qu’on appelle aujourd’hui en souriant « Moïse », l’homme qui resta perché sur son arbre tout l’après-midi en attendant les secours.
Quelques jours après le passage de l’eau, le constat était désastreux. Ce qu’il restait à Castéra ? Des campements de l’armée pour héberger les gens, des hangars pour les commerçants, et encore de la boue, tenace, sale, dans tous les recoins. « On aurait dit la guerre ! » Alors, Castéra, ville morte ? Le maire et les commerçants en ont décidé autrement. M. Tobbie a mis 20 ans à tout refaire, tout réparer. Il avait trouvé du travail ailleurs, mais il a décidé de rester.
« Les habitants ont fait des efforts pour nous passer des commandes… Je me suis arrangé avec les fournisseurs. Il n’y avait pas d’assurance c’est vrai, mais petit à petit on a pu repartir. Moi j’ai fini mes années de travail là-haut, dans ce hangar mis en place par la mairie. C’est vrai que c’était dur. Mais vous voyez, sans ça, la ville était morte »
Le maire de Lombez a sauvé son successeur
« Je me suis réveillé en pleine nuit. Un orage terrible ! », se souvient Henri Darnaud, qui était alors pompier. Son ancien collègue, Marc Barrère, lui, n’a rien entendu. Surprise complète au réveil. Lombez a les pieds dans l’eau. Et pas de sirène pour donner l’alerte car il n’y a plus d’électricité. Aussi seront-ils peu nombreux, les pompiers, tôt ce jour-là, à sortir pour assister les personnes en difficulté : « Vers 7 heures, poursuit Marc Barrère, Marin est venu me chercher. C’est alors qu’une nouvelle vague a déferlé depuis L’Isle-en-Dodon. Des rouleaux, comme une vague en mer, sur une largeur de 3 km ». Les pompiers sortent leur barque en bois et à rame, pouvant contenir 10 personnes et les sauvetages commencent à la force des bras. Lombez était coupé du reste du pays. « La Save avait tellement gonflé que les arches en étaient bouchées et, face à la gendarmerie, c’était un torrent de boue ». De nombreux habitants sont évacués.
La cité de la Ribère était noyée, ne dépassaient que les antennes des autos ! Le plus spectaculaire sera le sauvetage d’un couple juché sur le toit de l’étable, qu’un hélicoptère va hélitreuiller : M. et Mme Cot, les parents du maire actuel, alors âgé d’1 an, resté avec son frère de 3 ans dans la maison, avec un maçon. Impossible aux parents d’aller les récupérer devant la force terrible du courant. Henri Darnaud raconte : « Jean-Jacques Lassave, Tignol et un militaire - l’armée nous avait envoyé 60 hommes - sont allés en zodiaque depuis le moulin de Cousseau jusque chez Cot, où ils ont sauvé les enfants et le maçon… ».
Pendant ce temps, ignorant que le sauvetage avait eu lieu, Marc Barrère avec Roger Dauban et 7 militaires rament de toutes leurs forces vers les petits Cot et c’est la consternation : « On a vu flotter des chaussures et on a cru qu’ils s’étaient noyés… » Marc Barrère ajoute : « Le maire de l’époque ne savait pas qu’il venait de sauver le futur maire de Lombez ! »