L'incroyable histoire du casse de Bessières

Lorsque la bande à Spaggiari réalise le «casse du siècle», le 18 juillet 1976, en dérobant 7 millions d’euros dans les coffres des locaux de la Société Générale à Nice, atteints en creusant un tunnel, elle est sans doute loin d’imaginer qu’elle va inspirer 38 ans plus tard un autre gang dans un petit village de Haute-Garonne...

Ce mardi matin du 18 mars 2014, le printemps pointe le bout de son nez, à Bessières, au Nord de Toulouse. Alors que le Crédit Agricole s’apprête à ouvrir ses portes, les responsables de l’agence découvrent une salle des coffres saccagée : 107 d’entre eux, sur les 160 que compte l’agence, ont été éventrés et pillés. Le montant du butin dépasse les deux millions et demi d’euros...

Les gendarmes de la section de recherches de Toulouse, déployant des méthodes d’enquête et de surveillance de haut vol, mettront deux ans à démasquer un à un les onze auteurs de cette incroyable attaque, commise sans qu’aucune goutte de sang ne soit versée ni aucune violence exercée. Tous comparaissent à compter de ce lundi devant le tribunal correctionnel de Bordeaux.

Retour sur l’un des plus incroyables faits-divers de ces dernières années...

Un long format de la rédaction de :

Textes : Fréderic Abela, Jean Cohadon, Dominique Delpiroux, Emmanuel Haillot, Claire Lagadic et Claire Raynaud
Reportages photo et vidéo : Thierry Bordas
Réalisation : Claire Raynaud (La Dépêche du Midi) et Edouard Cid (La Dépêche Interactive)

Un procès fleuve pour une affaire hors norme

Onze personnes de 28 à 53 ans sont jugées, à partir du lundi 1er octobre et durant deux semaines, devant le tribunal correctionnel de Bordeaux, pour leur participation ou leurs liens avec l’attaque spectaculaire de l’agence bancaire du Crédit Agricole de Bessières, au nord de Toulouse, entre le 15 et le 18 mars 2014.

Le commando poursuivi pour « association de malfaiteurs » et « vol en réunion »  était passé par les égouts de la ville en creusant un tunnel de 30 mètres de long pour parvenir à la salle des coffres de la banque. Cent dix coffres ont été fracturés et le contenu raflé pour un préjudice total estimé à 2,5 M d’euros. Un butin essentiellement constitué de bijoux, d’espèces et de documents personnels et administratifs.

Au cœur de ce commando des égoutiers de Bessières inspiré du légendaire « casse du siècle » opéré par Spaggiari à Nice en 1976, on retrouve un noyau dur constitué de trois hommes : Pascal Teso, 48 ans, considéré comme le « cerveau » de cette expédition, Wlodizimiers Janczyszyn, dit « Vlad » le Polonais, 37 ans et un Croate, Zoran Panic, 58 ans. D’autres prévenus en lien avec cette équipe seront également jugés pour d’autres projets bien avancés comme l’attaque d’une banque à Reims, d’un dépôt de la Brinks à Toulouse et d’un projet de vols d’arme dans une caserne de gendarmerie à Toulouse.

Frédéric Abela

Albert Spaggiari, l'homme qui a inspiré le gang des égoutiers de Bessières

Dans la nuit du 17 et 18 juillet 1976, Albert Spaggiari et sa bande «d’égoutiers» dévalisent la salle des coffres de la Société Générale de la rue Masséna à Nice. Le butin est évalué à 46 millions de francs, soit l’équivalent de 7 millions d’euros. Pour réussir ce que les médias vont appeler « le casse du siècle », ils ont creusé pendant trois mois un tunnel de 8 m de long aboutissant directement dans la banque.

«Tant pis. On laisse tomber les gars, lance Albert Spaggiari à son équipe d’une quinzaine d’hommes. Il faut sortir maintenant si on ne veut pas se faire serrer».

En cette nuit du 18 au 19 juillet 1976, alors que la France connaît une canicule exceptionnelle, la pluie tombe avec force sur Nice. Elle entraîne dans les égouts une montée de l’eau qui devient susceptible de bloquer le «gang des égoutiers» dans sa retraite.

Il est 2 heures du matin et de nombreux allers-retours sont encore nécessaires pour remonter le butin à la surface avant le lever du jour. Spaggiari, qui a 45 ans, et ses hommes ont de l’eau jusqu’au cou lorsqu’ils quittent la succursale de la Société Générale de l’avenue Jean-Médecin avec leurs sacs rempli d’or et de billets. Avec difficulté, ils remontent les 8 mètres de tunnel qu’ils ont creusés de nuit pendant trois mois et rejoignent le réseau des égouts par lequel ils sont arrivés.

Le pactole ? 7 millions d'euros

Le gang a percé et vidé 371 coffres sur les 4 000 que compte la banque. Le butin est considérable : 46 millions de francs, soit près de 7 millions d’euros que les casseurs se partageront quelques heures plus tard dans une villa de l’arrière-pays niçois.

Avant de quitter la banque, la bande a pris soin d’effacer toute empreinte. Sur un mur, Spaggiari a écrit «Ni armes, ni violence et sans haine». Un message pour le moins insolite et peu en rapport avec les pratiques des voyous du milieu traditionnel.

Lorsque l’agence de la Société Générale ouvre en ce lundi 19 juillet 1976, c’est la stupéfaction. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre dans toute la ville. On parle de casse du siècle. De Paris et de toute l’Europe, les journalistes déferlent sur Nice. Si la police est convaincue qu’il s’agit du travail de professionnels, elle ne dispose d’aucune piste. Par recoupement, elle finit par faire un lien entre le casse et les informations d’un indic qui lui avait confié qu’une équipe s’apprêtait à faire un gros coup sur la région.

Quelques semaines avant, la gendarmerie de Plan-du-Var a effectivement contrôlé, sur les révélations de ce voyou, plusieurs individus suspects qui attendaient devant l’entrée d’une villa à Castagniers. Mais, faute d’éléments, elle n’a pu procéder à aucune interpellation. Parmi ces personnages, il y avait Gérad Vigier et Daniel Michelucci, deux bandits du milieu marseillais, déjà «bien connus» des services de police et qui, quelques mois avant le casse, avaient déjà été, par hasard cette fois, contrôlés alors qu’ils chargeaient un grand nombre de burins dans le coffre d’une voiture. Avec le recul, ils se disent que c’est certainement ce matériel qui a servi à percer le tunnel.

Du tunnel de Nice à la CIA...

Albert Spaggiari, part en cavale aux États-Unis. Mais il veut que l’on sache que c’est lui le cerveau du gang des égoutiers. Alors, à Washington, il propose ses services à la CIA pour, par exemple, forcer des ambassades, en se présentant comme le cerveau du «casse du siècle» de Nice, sous le surnom de «Bert».

Les Américains informent la police française. Spaggiari, qui est revenu à Nice où il a repris ses activités de photographe, est interpellé à la fin de l’année 1976. Mais le 10 mars 1977, grâce à la complicité «d’amis», il s’évade en sautant par la fenêtre du bureau du juge Richard Bouazis qu’il avait demandé à voir pour lui faire des révélations. Il vivra 12 ans en cavale, essentiellement en Amérique du Sud. En octobre 1979, il est condamné à perpétuité par contumace. Le 6 juin 1989, à 58 ans, il meurt d’un cancer en Italie et sa dépouille est «déposée» chez sa mère à Hyères dans le Var. Cet ancien para qui avait écopé, en 1954, de 5 ans de travaux forcés pour avoir braqué un cafetier en Indochine, avait eu l’idée de monter ce casse après avoir lu “Tous à l’égout” de Robert Pollock, un polar qui décrit le cambriolage d’une banque dans laquelle les malfaiteurs s’introduisent par les égouts.

Où est passé le magot de Nice ?

Dans un livre sorti en 2010, intitulé «La Vérité sur le casse de Nice», Jacques Cassandri, un Corse devenu l’un des parrains du milieu marseillais, est sorti de l’ombre 34 ans après les faits pour raconter sa vérité. Sous le pseudonyme d’Amigo, Cassandri affirme que Spaggiari n’avait pas creusé un centimètre du fameux tunnel de 8 mètres et qu’il n’était pas non plus l’auteur du légendaire «sans armes, ni haine, ni violence». Selon Cassandri, le seul cerveau du casse s’appelait «Le Gros», un parrain marseillais, décédé depuis «d’un accident du travail», dont Amigo était le fidèle lieutenant.

S’il n’avait pas eu l’imprudence de faire publier ce livre dont il s’est rapidement vanté d’être l’auteur, Jacques Cassandri, âgé aujourd’hui de 74 ans, aurait pu finir de couler des jours tranquilles.

Sa vantardise l’a perdu

Parce qu’il a eu la langue trop bien pendue, il s’est fait rattraper par la justice qui l’a jugé en avril dernier. Il n’était pas poursuivi pour ce fameux casse – les faits étant prescrits – mais pour blanchiment d’argent, et notamment celui des 46 millions de francs dérobés ce jour de 1976 dans la salle des coffres de la Société Générale de Nice.

Après la parution de son livre, Cassandri avait fini par reconnaître devant les enquêteurs sa participation au «casse du siècle», mais assurait n’avoir touché que deux millions sur le magot, qu’il aurait «rapidement dilapidés». Les magistrats n’en n’ont pas cru un mot : en 1976, Cassandri était sans le sou. En 2018, «il se trouve à la tête d’un patrimoine considérable constitué de nombreux fonds de commerce et biens immobiliers, exploités via sa famille et ses proches», selon le parquet.

Or offciellement, il n’a jamais travaillé… Achat d’une maison en Savoie, de terrains en Corse, de dizaines de milliers d’euros de visons, paiement d’une garantie avec sept lingots d’or… L’enquête a conclu que «la fortune de Jacques Cassandri et par conséquence de la famille Cassandri semblait puiser son origine occulte dans le butin retiré du casse de Nice ».

Déjà condamné pour proxénétisme et trafic de drogue au début des années 1970 ou encore pour extorsion, le tribunal l’a finalement condamné en avril dernier à trente mois de prison et 200 000 euros d’amende pour abus de biens sociaux, travail dissimulé et trafic d’influence actif.

En revanche, il a été relaxé du délit de blanchiment en bande organisée du butin du casse du siècle. Quarante-deux ans après les faits, personne ne sait ce que sont devenus les 46 millions de francs. La seule chose qui est certaine c’est qu’il n’y a aucune chance que la Société Générale en revoit un jour la couleur...

Claire Raynaud

Le casse du siècle a inspiré deux films

Les Égouts du paradis, qui est l’adaptation du roman éponyme d’Albert Spaggiari, le cerveau présumé du gang de Nice : il a été réalisé en 1979 par José Giovanni. Les dialogues sont signés Michel Audiard et c’est Francis Huster qui interprète Albert Spaggiari.

Sans arme, ni haine, ni violence, réalisé en 2008 par Jean-Paul Rouve, qui interprète également le rôle d’Albert Spiaggari.

Bessières, mardi 18 mars 2014, 11 heures 30 du matin...

Mardi 18 mars 2014 en fin de matinée, alors qu’il se rend dans la salle des coffres de l’établissement, le responsable de l’agence du Crédit Agricole de la petite commune de Bessières, située à la frontière de la Haute-Garonne et du Tarn-et-Garonne, tombe sur l’impensable...

Les coffres des particuliers ont été percés, au cours du week-end, et vidés de leur contenu. Les malfaiteurs ne sont pas entrés par la grande porte mais ont emprunté des souterrains. Ils sont passés par les égouts de la commune avant de se frayer un passage en creusant un tunnel. «Ils sont suffisamment organisés pour s’être créé un accès direct», confirme dans les heures qui suivent le procureur de la République de Toulouse, Michel Valet.

Les faits se sont produits le week-end précédent, pendant la fermeture de la banque. Il semblerait que les systèmes d’alarme n’aient pas fonctionné, en raison, peut-être, des sabotages perpétrés dimanche matin sur deux centraux téléphoniques à Bessières et Villemur-sur-Tarn.

Périmètre de sécurité

Lorsqu’il découvre le casse, le responsable de l’agence bancaire rentre justement d’une réunion organisée à la mairie sur le problème de téléphonie.

Prévenus par la victime, les gendarmes de la compagnie Toulouse Saint-Michel arrivent vite sur place. Soixante enquêteurs de la gendarmerie de la Haute-Garonne sont immédiatement mobilisés sur cette enquête qui s’annonce déjà hors normes.Ils établissent un large périmètre de sécurité et ferment l’avenue de la Gare où les faits se sont produits. Les techniciens en identification criminelle explorent minutieusement l’intérieur de la banque à la recherche du moindre indice.

Des plaques d’égouts sont descellées et visitées par les enquêteurs qui s’attellent à retracer le parcours pour le moins surprenant des casseurs.

Dans la mesure où les particuliers ne sont pas tenus de dévoiler le contenu de leurs coffres, les enquêteurs ignorent dans les premières heures l’ampleur du préjudice. Gros pactole ou butin dérisoire ? Nul ne le sait à ce moment-là.

Un central téléphonique détruit à 200 mètres

La coïncidence trop forte n’échappe à personne. Comment ne pas établir un lien entre ce casse de banque perpétré le week-end, au moment où les centraux téléphoniques de Bessières comme ceux de la commune voisine de Villemur-sur-Tarn viennent d’être sabotés ? Le premier se trouve à 200 mètres de l’agence bancaire et a privé 4 000 clients d’Orange de téléphone et d’internet, mettant par la même occasion hors service le système d’alarme de la banque.

Ces « attentats » ont été revendiqués par un sigle du CRAV (comité régional d’action viticole), qui s’en est d’ailleurs étonné. Très vite les enquêteurs acquièrent la certitude qu’ils sont sans doute l’œuvre des casseurs.

La stupeur des habitants

«Notre petite ville vient de connaître des événements inconnus jusqu’alors avec cet acte inqualifiable contre les centraux téléphoniques puis cette attaque de la banque. Tout cela nous laisse perplexes », déclare quelques heures après la découverte du casse le maire de la commune, Jean-Luc Raysseguier.

Les habitants de ce petit village tranquilles sont, eux, surpris par cet impressionnant déploiement des forces de l’ordre. «Les gendarmes étaient au moins quarante, décrit un riverain de la banque. Ils sont venus chez moi vérifier s’ils n’étaient pas passés par le garage.» L’avenue de la Gare, en plein centre-ville, où se situe le Crédit Agricole et qui mène à l’antenne téléphonique est bloquée. «On doit faire des détours pas possible, s’emporte une habitante qui cherche à se rendre à la poste. Quand est-ce qu’ils vont rouvrir ?»

Une question est sur toutes les lèvres. “Qu’est-ce qu’ils cherchaient ici, dans cette petite banque de campagne, s’interroge René, baguette sous le bras. Il n’y a pas de milliardaire ici. C’est pas Nice quand même.»

Personne n’a rien vu ni entendu

L’habileté des casseurs laisse songeurs bon nombre de curieux. «Faut pas faire 100 kg pour se faufiler par ces plaques d’égouts ! On nous dit qu’ils ont creusé pendant des jours et nous, on n’a rien vu et rien entendu ! ?» s’étonne une voisine de la banque. Le sabotage de l’antenne téléphonique exaspère les habitants. «On ne peut plus téléphoner mais on comprend mieux pourquoi. On ne voyait pas ce que les viticulteurs pouvaient avoir contre nous. En attendant, c’est pénible», soupire un habitant.

Malgré ces désagréments, les efforts de ruses et de sciences employés par les malfaiteurs suscitent aussi une certaine admiration dans une frange de la population. «Sont forts quand même, lâche un passant. Ils ont fait tout ça sans se faire repérer et surtout sans violences. Ils doivent être loin maintenant.»

Claire Lagadic et Emmanuel Haillot

Comment ont opéré les "Spaggiari" de Bessières ? Le scénario du casse

Dans les heures qui suivent la découverte du casse, le scénario très précis de cette opération commando se dessine déjà, même si l’enquête confiée par le parquet de Toulouse à la section recherches gendarmerie de Toulouse ne fait que commencer...

Repérage et entrée dans le boyau de briques

Pour accéder à une vingtaine de mètres de la banque, située en plein au cœur de ce village du nord de la Haute-Garonne, les voleurs ont emprunté un tunnel d’évacuation d’eau situé près de l’ancienne gare, un lieu isolé et peu passant la nuit.

Ces ovoïdes en briques - qui pourraient s’apparenter à des «égouts» - que l’on trouve encore dans les villages bordant le Tarn, sont aujourd’hui quasiment oubliées des populations. Ces tunnels mesurent environ 1,20 mètre de haut et, de toute évidence, compte tenu des ronces qui en bloquent l’entrée, ils ne sont jamais fréquentés.

Une fois à l’intérieur, à environ deux mètres de profondeur, les casseurs ont ensuite progressé sur environ 200 mètres.

Dans ce boyau étroit, et sans doute aussi les pieds dans l’eau, ils se sont acheminés vers un point défini très précisément à l’avance, placé juste en face de l’agence du Crédit Agricole, avenue de la Gare. Du travail bien préparé, sans aucun doute de longue date.

Ils creusent un tunnel de 30 mètres

La vraie performance, qui renvoie au scénario niçois et à l’histoire Spaggiari, commence alors. Sous l’avenue de la Gare, l’équipe a commencé, à partir des «égouts», à bifurquer et à creuser un tunnel de 30 mètres vers la banque. Objectif : la salle des coffres située à l’arrière de l’agence bancaire.

Pour ce faire, ils ont employé plus que de simples pelles mais de gros outils utilisés habituellement par les professionnels du terrassement. Tout un système d’étayage a également été installé pour éviter les éboulements au fur et à mesure de leur progression. Leur travail est passé inaperçu des riverains car l’argile creusée constitue un bon isolant phonique.

Les gendarmes ont découvert des bouteilles d’oxygène sans doute destinées à faciliter la respiration sous terre. Tout a été abandonné sur place. En revanche, note d’humour, les cambrioleurs ont déposé une plaque de rue dans le tunnel : «Rue du paradis», en référence au film «Les Égouts du paradis» de José Giovanni sorti en salles en 1979 et racontant le casse de Spaggiari en 1976.

Ils sabotent le central Orange et les systèmes d’alarme

Après ce travail d’accès, les cambrioleurs se sont occupés de sécuriser leurs accès dans la salle des coffres. Comment annihiler le système de sécurité et d’alarme de la banque ? C’est là qu’ils ont eu sans doute l’idée de détruire les centraux téléphoniques de l’opérateur Orange à Bessières et à Villemur-sur-Tarn. Ils ont ainsi procédé au sabotage par incendie de ces centraux - sabotage qui a eu lieu dans la nuit, le week-end précédant le casse. Là aussi rien n’a été laissé au hasard. «Il y a eu un acharnement à tout détruire», observe un cadre de l’opérateur Orange. «C’est un véritable travail de professionnels équipés et informés.»

Au départ, en remarquant les sigles CRAVE, le Comité régional d’action viticole, les gendarmes pensaient à un acte de colère des viticulteurs. Seulement très vite, dans l’Aude où les acteurs du CRAVE sont parfois très virulents, personne n’a confirmé. Bien au contraire. En réalité, ces sabotages, s’ils ont coupé les lignes téléphoniques et ADSL de 4 000 clients, ont surtout permis de réduire à néant les alarmes du Crédit Agricole.

Moins touché, le central de Villemur est lui aussi hors-service. «Là-bas, ils ont pénétré en découpant au chalumeau les grilles de ventilation basses sur le côté du bâtiment pour ne pas se faire repérer et éviter le déclenchement de l’alarme reliée à la porte », indique un technicien. À l’intérieur du bâtiment, les saboteurs ont employé des scies circulaires afin de mettre hors d’usage des câbles pouvant faire jusqu’à 4 cm de diamètre.

Destination finale, la salle des coffres

Une fois le système d’alarme anéanti, les cambrioleurs ont eu tout loisir d’arriver sous la banque par le tunnel, directement dans la salle des coffres. C’est précisément ce lieu qu’ils visaient. Probablement entre dimanche et lundi, ils sont parvenus à ouvrir une centaine de coffres sur les 160 qui se trouvent dans cette banque. Ils ont forcé les portes à l’ancienne, avec burin et barre de fer. Une fois le butin récolté, ils sont repartis logiquement par le chemin par lequel ils étaient arrivés.

Pourquoi les malfaiteurs ont-ils choisi Bessières et son Crédit Agricole ? Dès les premiers jours de l’enquête, la question est sur toutes les bouches et se présente comme la véritable énigme de ce casse. Le maire de la commune, Jean-Luc Raysséguier, se pose lui aussi la question. «Cette ville n’est pas réputée pour avoir des familles très riches. Selon nos sources, seules deux contribuables sont assujetties à l’impôt sur la fortune. Je ne comprends pas».

Les voleurs savaient-ils qu’un des coffres contenait une fortune ? Il paraît impensable d’avoir lancé un tel chantier, sans doute plusieurs jours ou nuit de travail difficile, sans savoir ce qu’ils allaient découvrir. Visaient-ils de l’argent liquide ? Des bijoux ? Voir un document particulier. Quel était leur véritable objectif ? Les «égouts du paradis» de Bessières ont de nombreux secrets à révéler et les enquêteurs de la gendarmerie mettront deux ans à les percer...

Jean Cohadon

Le tunnel livre enfin ses mystères...

Pendant les trois mois qui suivent le casse, le tunnel construit et emprunté par le gang des égoutiers pour piller la banque de Bessières, est minutieusement inspecté par les gendarmes de la section de recherches de Toulouse en charge de l’enquête, mais aussi par des membres de l’institut national de recherches archéologiques préventives et par des spéléologues.

Très étroite mais bien étayée, notamment par des planches de bois, la construction souterraine est longue de trente mètres et mesure 1,20 mètres de hauteur et elle intrigue par sa technicité. Les casseurs ont réalisé un véritable travail de pro, étayant et éclairant leur tunnel sur toute la longueur.

A l’intérieur de cet énorme trou, c’est un véritable chantier de terrassement qui prend forme et une organisation hyper structurée où le ballet des pelles et des pioches façonne l’ouvrage : la pierre et autres gravats sont évacués, les parois sont solidifiées par des planches de bois assemblées entre elles.

De nombreux outils, des chariots et des brouettes y ont été retrouvés par les enquêteurs. Des bouteilles d’oxygènes ont également été découvertes. Elles servaient aux braqueurs pendant qu’ils perçaient la galerie.

À Bessières, le «gang des égoutiers» s’est d’abord introduit par les caniveaux situés à plus de 500 mètres de la banque, non loin de l’ancienne gare de la commune. Un endroit isolé et reculé de cette paisible commune de 3 000 habitants. En cheminant dans ces bas-fonds insalubres, les malfaiteurs ont creusé un ouvrage de 30 mètres de long pour les mener directement dans la salle des coffres de la banque.

«Un tunnel de cette taille ne se construit pas en trois jours. Il faut creuser la terre, l’enlever. Plus d’un mètre sur un mètre, cela fait quelques mètres cubes de terre à évacuer. En plus à quatre pattes ou à plat ventre, vous n’avancez pas comme quand vous êtes debout… À mon avis, impossible de gagner plus de deux mètres par jour soit au minimum 15 jours d’effort », analyse quelques jours après les faits Michel Parpaiola, chef d’entreprise spécialisé dans le terrassement en Haute-Garonne. L’enquête permettra finalement d’établir que les malfaiteurs ont en fait creusé ce tunnel durant plus d’un an...

Le tunnel ressemble à celui du casse de Berlin

Le tunnel de Bessières ressemble à celui qui a permis à une bande braqueurs de réaliser un casse dans une banque de Berlin, en Allemagne en janvier 2013. Là aussi, le scénario semble avoir été finement préparé. Un an avant le forfait, les malfaiteurs louent, avec de faux papiers néerlandais, quatre places mitoyennes dans un parking souterrain à proximité de l’agence de la Berliner Volksbank. Toujours sous une fausse identité, ils ouvrent un coffre pour pouvoir repérer les lieux. À l’abri de portes métalliques, ils creusent pendant des mois pour atteindre la salle des coffres. La galerie est similaire à celle de Bessières : 45 mètres de long sur 1,5 mètre de hauteur avec des étais en bois.

Profitant de la fermeture de l’agence, les braqueurs passent à l’action le week-end du 12 janvier 2013 en perçant le mur de la banque, dépourvu de système d’alarme. Malgré leurs précautions, ils déclenchent l’alarme. Mais le saint patron des braqueurs veille sur eux : l’entreprise de sécurité intervenue sur place repart sans jeter un œil à la salle des coffres ! Le forfait est constaté le lundi au petit matin suite à l’incendie déclenché pour couvrir les traces. Plus de trois cents coffres ont été vidés, le butin est estimé à dix millions d’euros.

Claire Lagadic, Jean Cohadon et Claire Raynaud

Un butin de deux millions et demi d'euros

Lors du casse de Bessières, le gang des «égoutiers» a mis la main sur près de 2,5 millions d’euros en fracturant pas moins de 107 coffres de particuliers, dont certains étaient vides, sur les 160 au total que renfermait la banque.

Cinquante-deux de ces coffres de tailles différentes, étaient loués à des clients au moment du casse. Le prix de location d’un coffre dans cette agence varie selon la taille, de 81,50€ à 180,50€ par an. Ce préjudice chiffré du casse repose sur ce que les victimes ont déclaré auprès des organismes d’assurance pour que ces dernières puissent procéder aux opérations d’indemnisation.

Bijoux de famille

Ce butin conséquent est essentiellement constitué de numéraires et de bijoux de valeur. Pêle-mêle, le contenu des coffres ne recèle pas de gros volumes financiers : beaucoup de bas de laine, des économies, des bijoux de famille et des lingots d’or... On retrouve également quelques documents de valeur. Pour les locataires des coffres fracturés, le vol de leur bien constitue une perte inestimable, «surtout pour ceux qui ont perdu des bijoux de famille à forte valeur émotionnelle», précise une source judiciaire. Organisé en véritable équipe de professionnels, le gang des «égoutiers», n’a rien laissé au hasard.

Un commando suréquipé

Au regard du butin dérobé, ce commando suréquipé connaissait-il, par avance, le contenu de ces coffres avant de les piller ? «Le simple fait de connaître l’existence de ces coffres-forts dans cette agence bancaire peut suffire à leur détermination», explique une source proche du dossier. Autre élément de motivation : la configuration des lieux. L’accès par les égouts, situé à plus de 300 mètres de la banque dans une zone isolée, dans une commune réputée tranquille, a évidemment joué dans la décision des voleurs.

Frédéric Abéla

Après deux ans d'enquête, «Taupin 31», la cellule spéciale de la gendarmerie met la main sur le gang des égoutiers

Pour résoudre ce « casse du siècle » version Bessières, les gendarmes de la section de recherches de Midi-Pyrénées qui ont été saisis de l’enquête, ont montée une cellule de travail spéciale, composée d’une dizaine d’enquêteurs.

Elle est baptisée «Taupin 31», du nom de ce petit coléoptère nuisible qui creuse des galeries en sous-sol et dévore les racines des végétaux. Un « clin d’oeil » appuyé au gang des égoutiers, qui a, lui aussi, creusé un tunnel de 30 mètres de long pour atteindre sa cible : la salle des coffres du Crédit Agricole de Bessières.

Après deux ans de travail, les enquêteurs aussi ont fait leur trou et entrevoient enfin le bout du tunnel. Le 5 avril 2016 au petit matin, la gendarmerie lance une opération d’envergure et interpelle treize personnes soupçonnées d’avoir participé à cette attaque hyper-organisée.

Ce coup de filet spectaculaire, sur commission rogatoire d’un magistrat instructeur de la juridiction interrégionale spécialisée de Bordeaux, est mené par les gendarmes de la section de recherches de Midi-Pyrénées, appuyés par les unités d’observation de la gendarmerie et le GIGN. Au total, 200 militaires son mobilisés : ils interpellent simultanément les suspects à Toulouse, dans sa banlieue, à Balma, autour de Bessières, à Tours, en région parisienne et à Reims.

Tous ces suspects sont immédiatement placés en garde à vue à la gendarmerie. Leurs auditions peuvent durer 96 heures en raison du cadre juridique qui vise «le vol en bande organisée», la «destruction en bande organisée» et «l’association de malfaiteurs.»

Comment les gendarmes ont-ils remonté le fil de cette incroyable affaire ? C’est en épluchant minutieusement la liste des propriétaires des coffres (52 casiers étaient en location à la banque) que les enquêteurs de la section de recherches ont commencé à s’intéresser à un suspect. En s’attachant à l’environnement de cet homme, d’autres noms sont apparus, sonnant comme de vieilles connaissances pour les enquêteurs… Un contrôle routier à Cannes a également mis les enquêteurs sur la piste du commando de Bessières. À bord d’une berline volée se trouvent quelques membres de l’équipe qui seront pistés, filés et écoutés durant de longs mois avec l’aide du groupe d’observation et de surveillance de la gendarmerie (GOS).

C’est alors le début d’un méga réseau de surveillance qui se met en marche mobilisant des moyens de très haute technicité pour identifier, suivre et surveiller durant de longs mois, à travers la France entière, les acteurs présumés de ce « commando » de casseurs.

Autour du noyau dur du gang, constitué notamment par un homme de 56 ans d’origine slave et un Polonais de 33 ans qui ont déjà un passé judiciaire dans les vols en bande organisée, viennent s’agréger des «seconds couteaux» plus modestes, des « locaux » visiblement bien renseignés sur les «coups» à faire dans la région. Mais il y a aussi des profils plus étonnants comme un agent immobilier de la banlieue toulousaine ou un garagiste.

De grosses surprises lors des perquisitions

Lors des perquisitions effectuées chez les suspects, les enquêteurs ont fait d’étonnantes découvertes. Une somme de 60 000€ en espèces, des armes, de nombreuses munitions, une 357 Magnum... Mais aussi des brassards de police et des documents de faussaire. Dans deux domiciles du Nord-est toulousain, les gendarmes ont saisi 150 pieds de cannabis, en culture indoor dans un hangar, chez l’un, et plus de 100 grammes de cocaïne, chez un autre. Par ailleurs, une grosse somme en cash a également été saisie chez un garagiste toulousain, lui aussi en garde à vue dans l’affaire de Bessières. Des bijoux ont également été retrouvés à Saint-Ferréol, près de Revel en Haute-Garonne. Ces précieuses trouvailles sont-elles directement ou indirectement en lien avec le butin dérobé dans les coffres ? Des questions qui restent au cœur des investigations.

Durant le temps de la préparation du casse et du creusement du tunnel, qui aurait duré un an, les malfaiteurs étaient hébergés non loin des lieux, à quelques mètres à peine de la banque. Certains auraient été vus dans des enseignes de bricolage des environs de Bessières, pour acheter des matériaux utilisés pour la confection du tunnel.

A l’issue de leurs garde à vue, sept suspects âgés de 30 à 56 ans -sur les 13 personnes interpellées- sont finalement présentés devant les magistrats de la juridiction interrégionale de Bordeaux, spécialisée dans le crime organisé. Onze personnes sont mis en examen dont six accusées de pour «vol en bande organisée, association de malfaiteurs et destruction par incendie» sont écrouées.

Tout est parti d’un artisan terrassier de Bessières...

L’un des sept suspects écroués dans l’affaire du spectaculaire casse de Bessières, en mars 2014, près de Toulouse, s’est attaqué à son propre coffre-fort qu’il avait loué auparavant et s’est déclaré «victime» du vol pour ne pas attirer l’attention.

Pascal Teso, 44 ans au moment des faits, est un artisan terrassier vivant à Bessières qui s’est rêvé ebn caïd... C’est lui qui aurait initié l’idée de cette invraisemblable odyssée souterraine calquée sur le fameux «Casse du siècle» de Spaggiari en 1976, à Nice. Au Crédit agricole de Bessières, il a loué un coffre-fort au sein de la banque. Comme un simple client lambda. Un coffre alimenté de plusieurs milliers d’euros. Cet expert du bâtiment s’est ensuite déclaré victime auprès de cette même banque pour ne pas attirer l’attention. Il aurait même été remboursé rubis sur l’ongle une fois toutes les formalités accomplies avant d’être suspecté par les enquêteurs qui ont épluché le listing des victimes. Un péché de gourmandise fatal…«Il reconnaît avoir eu l’idée de creuser ce tunnel pour faire comme Albert Spaggiari, à l’époque. Mais par la suite, il s’est retrouvé complètement dépassé par ceux qui sont venus lui prêter main-forte quand il a compris qu’il ne pouvait pas agir tout seul», explique son avocat, Me Pierre Le Bonjour.

Le terrassier de Bessières, qui ne cache pas sa fierté d’avoir marché sur les pas de son idole Spaggiari, aurait raconté lors de ces différents interrogatoires les détails de la confection de l’ouvrage. Il s’est aussi attaché les services de connaissances locales tel qu’un jeune tenancier d’un snack, du côté de Bessières, qui aurait reconnu «avoir fait le guet» lors des phases cruciales du creusement.

Fier d'avoir copié Spaggiari

Une démarche qui en dit long sur l’audace de ce gang qui, tout au long de sa préparation paramilitaire cornaquée par Zoran Panic, dit «la Zoze», ancien légionnaire d’originaire croate, a étudié sous toutes les coutures les paramètres de cette opération commando : diversion en saccageant les centraux téléphoniques pour neutraliser les alarmes, fausse piste pour tromper les enquêteurs, étude minutieuse des itinéraires de fuite et brouillage permanent pour éviter d’être repéré.  

Les gendarmes de la section de recherches Midi-Pyrénées, dont le travail d’enquête de très haute niveau a porté ses fruits, ont ont aussi découvert une «planque», route de Revel à Toulouse. Un appartement partiellement occupé par un Polonais de 33 ans, Wlodizimiers Janczyszyn, dit « Vlad » le Polonais, l’un des piliers de l’organisation.

Extrêmement mobile, cet homme avait une activité déclarée à Crans-Montana, en Suisse, où il s’occupait d’un karting sur glace. Au moins tous les deux mois, il revenait en France pour se soumettre à des obligations judiciaires liées à de précédentes affaires de vol en bande organisée. Dans cette «planque», route de Revel, à Toulouse, les enquêteurs ont saisi des revolvers, un fusil à pompe, une kalachnikov, de nombreuses munitions, des brouilleurs, des uniformes de gendarmerie, un brassard de police, des caméras boutons et surtout des lots de montres de luxe.

Frédéric Abéla

Le gang des égoutiers préparait d'autres gros coups

Après l’arrestation du gang, les investigations ont évidemment continué. Elles ont été menées par les magistrats de la juridiction interrégionale spécialisée de Bordeaux, spécialisée dans le crime organisé.

L’enquête a fait émerger au moins quatre autres projets criminels de grande envergure, dans lesquels l’implication présumée de trois des cerveaux du gang (Wlodizimiers Janczyszyn, Zoran Panic et Dominique S.) dans certains dossiers, pèse lourdement dans l’instruction malgré leurs dénégations.

Une banque visée à Reims

Comme à Bessières, le gang des égoutiers projetait de s’attaquer à une agence bancaire du centre de Reims, en Champagne. Plusieurs actes préparatoires avaient déjà commencé. La construction d’un tunnel aurait été envisagée en pleine nuit avec stockage et évacuation des gravats. De nombreux repérages avaient été effectués fin 2014. Cette banque aurait été choisie en raison d’aspects techniques et géologiques.

Projet d’attaque de la Brinks

Un projet longtemps mûri dans l’esprit de l’un d’eux, Wlodizimiers Janczyszyn. Ce Polonais passionné d’armes et de belles voitures, qui a été jugé en avril 2017 devant le tribunal correctionnel de Toulouse pour une longue série de cambriolages et de vols commis fin 2010, avait déjà, à cette époque, noté les tournées des convoyeurs de fonds, à Toulouse, Ramonville et Muret. Selon les consignes, un homme devait postuler en tant que chauffeur dans la prestigieuse société de convoyage, en banlieue toulousaine. Il aurait eu pour mission de prendre des clichés et de mettre la main sur des plans. Un entretien d’embauche aurait eu lieu à l’automne 2014. Mais le projet a été abandonné car jugé trop risqué.

Cambriolage d’une armurerie de la gendarmerie

Un ancien gendarme adjoint, aujourd’hui démissionnaire, devait s’introduire dans l’armurerie du peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (Psig), dans une caserne toulousaine. Cet homme était un proche d’un membre du gang de Bessières dont le rôle avait consisté à faire le guet aux abords du tunnel souterrain. Aucun acte préparatoire n’avait été planifié pour l’armurerie.

Braquage en Suisse

La police suisse soupçonne Dominique S. et Wlodizimiers Janczyszyn d’avoir pris part, début 2016 à un vol à main armée commis dans une maison, non loin de Crans-Montana. Ils auraient séquestré un occupant de cette villa avant de dérober plusieurs montres de luxe. Une partie du butin a été retrouvée au domicile de Wlodizimiers Janczyszyn, à Toulouse. Une affaire suivie par la police suisse. Dominique S. et Wlodizimiers Janczyszyn travaillaient tous les deux à Crans-Montana dans un centre de karting sur glace avant leur interpellation, le 5 avril 2016.

Frédéric Abéla

La science aura-t-elle raison des crimes et des casses parfaits ?

Devant le tribunal correctionnel de Bordeaux, onze égoutiers de Bessières seront donc jugés à partir du lundi 1er octobre notamment pour «vol en bande organisée, association de malfaiteurs et destruction par incendie». C’est la fin d’une enquête aussi tentaculaire que le dossier de 18 tomes qu’ont constitué les magistrats en charge de cette affaire, qui restera gravée dans les annales de la grande criminalité.

Au moment de l’interpellation des suspects, en avril 2016, le patron de section de recherches Midi-Pyrénées, le colonel Éric Matyn, ne cachait pas sa satisfaction. «C’est une affaire exceptionnelle, un moment d’histoire judiciaire hors norme», déclarait-il à l’époque. Il est vrai que les militaires ont déployé des trésors de technicité, des méthodes de surveillance et d’observation ultra-pointues pour identifier et localiser ce gang rompu à toutes les astuces. Un défi de tous les instants relevé haut la main et une traque sans précédent, obligeant les enquêteurs à maintenir un niveau d’exigence et de compétence rarement atteint dans une enquête criminelle.

Car la loupe de Sherlock Holmes, la pipe de Maigret ou le cigare de Colombo ne suffisent plus aujourd’hui à venir à bout des énigmes policières. Désormais, les enquêtes sont devenues des opérations complexes, faussement lentes, qui ratissent large le moindre indice et ne laissent plus beaucoup de place au flair ou à l’intuition. Mais les résultats sont là : il devient de plus en plus difficile d’échapper à la justice, malgré le temps qui passe.

Le temps ? C’est près de vingt ans après ses crimes que Jacques Rançon a été jugé en mars dernier devant la cour d’assises des Pyrénées-Orientales. Pourtant, ce cariste avait été gardé à vue, après les meurtres d’Anne-Marie Gonzalès et Moktaria Chaïb. Mais à l’époque, il était passé entre les mailles du filet, car les analyses ADN n’étaient pas assez performantes. Ce n’est qu’en 2014 que l’on a retrouvé une minuscule trace sur la chaussure de Moktaria Chaïb. Un indice infinitésimal, qui a permis d’extraire un ADN partiel. Qui a permis de retrouver Rançon dans le fichier des délinquants sexuels.

Du temps, il en a fallu aussi pour confondre Jonathann Daval. Alexia a disparu le 28 octobre. Et dès le départ, les enquêteurs ont eu de lourds soupçons sur le mari. Autrefois, ils l’auraient sans doute mis en garde à vue très vite, espérant obtenir des aveux dans les 48 heures réglementaires.

La garde à vue «à la canadienne»

Mais ils n’avaient, à ce moment-là, pas de «billes», comme disent les policiers. Alors, les gendarmes ont préféré prendre leur temps. Relever patiemment tous les indices. Vérifier les «bornages» des téléphones. Entendre longuement tous les témoins. Et surtout «fermer les portes», c’est-à-dire exclure les autres hypothèses : présence ou non d’un amant suspect, différend professionnel, mauvaise rencontre, etc.

Une autre nouvelle technique a été utilisée dans cette affaire : la garde à vue «à la canadienne». Une audition tout en psychologie où le suspect se retrouve pris au piège de ses propres mensonges et de ses propres contradictions.

Les dernières techniques d’investigation ont également été utilisées dans l’affaire de la disparition de la petite Maëlys.

Assez rapidement, les enquêteurs ont eu de très gros doutes sur le rôle de Nordahl Lelandais. Et ont utilisé tout ce que les méthodes modernes mettaient à leur disposition.

Ainsi, malgré le lavage en règle de la voiture de Lelandais, ils y ont découvert d’infimes traces d’ADN appartenant à la fillette, puis une trace de sang. On a utilisé aussi la technique «olfactive», une nouvelle manière d’utiliser le flair des chiens policiers, pour déterminer la présence d’une personne dans un endroit. Mais les malinois ont été malades, incommodés par les vapeurs de détergeant du coffre !

On a également utilisé les images de vidéosurveillance de la ville voisine, où l’on a repéré, sans aucun doute possible, la voiture de Lelandais sur les enregistrements. Hélas, ces techniques d’investigation, les criminels aussi les connaissent.

Bornage, vidéosurveillance, écoutes...

Ainsi, Nordahl Lelandais a passé plusieurs heures à nettoyer sa voiture, le lendemain de la disparition de Maëlys : pour qu’elle soit impeccable avant de la vendre, a-t-il assuré. Très vraisemblablement pour y faire disparaître toute trace d’ADN.

De même, par deux fois, Lelandais a éteint son téléphone mobile, le soir de la disparition : précisément parce qu’il savait que l’on peut reconstituer le parcours d’un individu, grâce au «bornage» de son téléphone.

Une méthode qui a été utilisée aussi pour la disparition du jeune militaire, Arthur Noyer. C’est avec le bornage que l’on a pu établir que Lelandais se trouvait à proximité du caporal-chef, lorsque celui-ci disparaît. Même si, comme pour l’affaire Maëlys, il a éteint – par précaution ? – son mobile plusieurs heures ce soir-là.

Faire disparaître les traces d’ADN ? C’est ce que Jacques Rançon a tenté de faire de manière atroce, en mutilant ses deux victimes, après les avoir violées et tuées.

Le bornage, le recueil des traces d’ADN, l’examen des caméras de vidéosurveillance, autant d’éléments qui ont permis de réaliser une enquête d’une complexité gigantesque : la reconstitution des attaques du 13 novembre 2015.

Des mois et des mois d’enquête et de recoupements mis bout à bout, qui ont permis de comprendre avec une très grande précision la chronologie exacte des événements, pour chacun des protagonistes, depuis la préparation longuement en amont du côté de Molenbeck, jusqu’à l’assaut de la planque de Saint-Denis.

Les nouvelles techniques policières permettent non seulement de retrouver les coupables, mais aussi elles apportent les éléments matériels qui permettent de mieux comprendre comment se sont déroulés les faits. Et ainsi mieux éclairer la justice.

À Toulouse, ce sont des experts qui ont identifié le gang des égoutiers de Bessières

C’est à deux pas du canal du Midi que, derrière éprouvettes, pipettes et autres microscopes, travaillent les policiers du pôle criminalistique, l’Institut national de la police scientifique (INPS) de Toulouse, l’un des cinq en France avec Paris, Lille, Lyon et Marseille.

Là, des policiers qui sont aussi des experts scientifiques mettent toute leur expérience en œuvre pour tenter de confondre les criminels, s’il le faut, des années après. Mais leurs techniques peuvent aussi s’appliquer à des actes moins sanglants, comme des cambriolages, ou des braquages de banque.


Le fameux «gang des égoutiers» de Bessières, a ainsi pu être identifié, grâce à des méthodes de surveillance hyper pointues permettant leur arrestation deux ans après le braquage.

Les nombreuses filatures techniques opérées par les gendarmes de la section de recherches de Toulouse et du groupe d’observation et de surveillance (GOS) ont permis l’interpellation des membres du gang après un contrôle routier du côté de Cannes. Tous se prenaient sans doute pour des cerveaux, mais ils ont été rattrapés par la science...

Dominique Delpiroux

L'incroyable histoire du casse de Bessières
  1. Un procès fleuve pour une affaire hors norme
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