13-Novembre : deux ans après...
Ensemble
Le temps a passé. Comme toujours. Ni plus rapide ni plus lent. Les nuits se sont écoulées, 730 exactement, et peu à peu le bruit des balles s’est effacé. Les hurlements des victimes se sont faits moins présents. Le calme est revenu.
On nous avait dit : il y aura un avant et un après 13 novembre. Nous entrons dans un autre monde. Rien ne sera jamais plus pareil. Deux ans plus tard, en apparence, tout est comme hier. Nous sirotons à nouveau des Spritz sur la terrasse du Carillon, nous écoutons encore des groupes de musiques qui parlent du diable sur fond de guitares saturées. Les stades ne sont pas vidés et Le Petit Cambodge sert toujours ses merveilleux bobuns, ses natins à tomber et son inégalable bœuf à la citronnelle. Rien n’a changé.
L’état d’urgence vient d’être rangé au placard ou presque, la déchéance de natalité est une histoire ancienne, le FN n’a pas explosé dans les urnes, pas autant que l’on aurait pu le craindre.
Nous portons toujours des minijupes, lisons Charlie Hebdo sans trembler et nous n’avons pas de boule au ventre lorsque nous allons écouter un concert le soir à Paris.
C’est notre victoire de n’avoir pas cédé à la peur, aux lois liberticides, à la haine de l’autre. D’être restés nous-mêmes, soucieux de préserver nos libertés contre la tentation d’ériger des barrières. Cette fois encore, nous avons échappé au pire. Nous ne sommes pas tombés dans le piège de la guerre de religion, ni dans celui du repli sur soi.
Nous sommes restés les mêmes à cet infime détail près, ce frisson qui nous parcourt à l’évocation du nom des victimes de cette soirée plus noire que les autres. Caroline, Thierry, Djamila, Lola, Jean-Jacques, Mathias, Pierre, Cédric, Juan, Marie, Cécile, Aurélie, Manu, Franck. Des jeunes gens, des plus âgés, des mères ou des pères de famille, de toutes origines, de toutes religions… Fauchés à 20 ans, 30 ans ou 60 ans par ceux qui veulent abattre ce que nous sommes, ce qu’étaient ces gens, ce soir-là, au Carillon, à la Belle Equipe, au Petit Cambodge, au Bataclan ou au Stade de France : des êtres libres. Libres de parler, de penser, d’exprimer des opinions contraires. Libres de ne croire en rien ou de prier Vishnou. Libres de s’aimer et de vivre ensemble mariés ou pas, avec ou sans PACS. Vivre ensemble tout simplement ! Siècle après siècle, nous avons fait grandir cette idée, respectant les croyances de tous et les modes de vie de chacun. Tissant des lois qui confèrent à tous l’assurance de pouvoir être lui-même sans empiéter sur les convictions des autres. C’est ce vivre ensemble qui a été attaqué, il y a deux ans, à Paris. Ce vivre ensemble qui aurait pu vaciller, se fissurer à jamais.
Mais parce que 130 d’entre nous ont trouvé la mort en son nom, nous nous devons de le défendre plus que jamais, de porter haut et fort cette devise que nos parents ont choisi d’écrire au fronton des mairies : Liberté, Egalité, Fraternité ! Ces valeurs que nous pensions inaltérables et qui se trouvent, à nouveau, menacées. Car si une chose a changé le 13 novembre 2015, c’est bien celle-ci. Nous savons désormais que nous pouvons mourir pour des idées.
Christelle Bertrand
Un long format de la rédaction de La Dépêche du Midi, La Dépêche Interactive et Midi Libre
Textes : La Dépêche Interactive, Christelle Bertrand, Dominique Delpiroux, Manon Adoue, Emmanuel Haillot, Philippe Rioux, Claire Lagadic, Frédéric Abéla, Jean-Claude Souléry, Olivier Schlama, Edith Lefranc, Nicolas Zarrouk, Jean-Pierre Bédéï, Sébastien Dubos, Jean-Noël Gros et Anne-Sophie Douet.
Réalisation : La Dépêche Interactive
Photos : SIPA, AFP, DDM et Midi Libre
Infographies : Idé
Bataclan, terrasses : deux ans d’enquête
C’est la pire attaque terroriste que la France a connue. Le 13 novembre 2015 restera comme une nuit où il a fallu additionner les morts aux morts, dans un décompte atroce. Après les tueries sur les terrasses de cafés parisiens, il y a eu l’interminable massacre du Bataclan. En tout, 130 morts, mais aussi près de 700 blessés dont certains ne se remettront jamais et vivront désormais avec un pied ou un œil en moins, et des cauchemars en plus. Des blessés, mais aussi des témoins traumatisés, poursuivis par des terreurs et des angoisses.
Aujourd’hui, Emmanuel Macron se rendra sur chacun des lieux des attaques : le Stade de France, les terrasses du Petit Cambodge, du Carillon et de La Belle équipe, et enfin au Bataclan. Il n’y aura pas de prise de parole. Juste des fleurs déposées.
Pendant ce temps, l’enquête avance. Une enquête hors normes, où des centaines d’écoutes et de « bornages » téléphoniques ont été épluchés, où des dizaines de traçages au GPS ont été recueillis, où d’innombrables prélèvements ADN ont été analysés et recoupés, où des mémoires de portables et d’ordinateurs ont été désossés.
Il en ressort que ces attaques ont été bien plus minutieusement préparées que ce que l’on pouvait imaginer.
Seul membre survivant des commandos parisiens, Salah Abdeslam, actuellement incarcéré en France, semble bien avoir été un des organisateurs de ces tueries. Ancien petit délinquant de la ville de Molenbeck, à côté de Bruxelles, vaguement patron de bistrot, il voit défiler chez lui une faune de petits trafiquants dont certains deviendront ses hommes de main. Du mois d’août au mois d’octobre 2015, il voyage beaucoup. En Allemagne, en Hongrie, notamment. Et là, il recrute des terroristes qui mourront lors des attaques de Paris.
Autres piliers de ces attaques, les frères El Bakraoui. Ils n’opéreront pas à Paris, mais se feront exploser lors des attaques de Bruxelles, en mars 2016. En revanche, ils prépareront les planques et les munitions pour les commandos des terrasses et du Bataclan. Ils sous-traiteront aussi un jeu de faux papiers, réalisés très longtemps à l’avance, pour faciliter les déplacements de l’équipe.
L’enquête fait aussi apparaître la présence de nombreux comparses, relais ou fournisseurs, qui ont été interpellés et incarcérés.
L’un a loué une planque, l’autre une voiture, un autre a joué les chauffeurs. Parmi eux, par exemple, Mohamed Abrini « l’homme au chapeau » avait fait les repérages en France, avant de participer plus tard aux attentats de Bruxelles, en mars 2016.
Devant une telle masse d’informations à traiter, le procès où Salah Abdeslam sera le principal accusé ne devrait pas intervenir avant au moins deux ou trois ans. Lors d’une rencontre avec les parties civiles en octobre, les juges d’instruction ont dit espérer clore leur enquête au printemps 2019.
Zones d’ombre
En attendant, « Il y a toujours des zones d’ombre dans les dossiers », estimait hier le procureur de Paris, François Molins, qui suit ces affaires depuis le début.
Alors les derniers événements en Syrie et en Irak, la chute de Daech et la capture des jihadistes dans cette zone pourra-t-elle faire avancer le dossier ?
« On peut toujours espérer que l’arrestation de certaines personnes, si elles acceptent de coopérer et de parler, puisse apporter des éléments positifs et des clés de lecture supplémentaires pour comprendre tout ce qu’il s’est passé », a déclaré François Molins. « Cela pourrait éclairer soit le rôle de certains qu’on cherche et qu’on continue à chercher aujourd’hui, soit l’organisation de cette association terroriste et toutes les activités criminelles qui ont été les siennes ».
Un procureur qui rajoute : « Il faut se départir de toute naïveté » concernant les jihadistes et les membres de leur famille. Le magistrat a dialogué avec certains de ces « revenants » : « Je n’ai pas perçu véritablement de regret dans ce que j’ai entendu. On est face à des gens qui sont plus déçus que repentis ».
En tout cas, on sait aujourd’hui qu’il n’y a pas eu de loups solitaires, pas de bricolage ou d’attentat « low cost », mais une attaque coordonnée qui venait de très loin. Un véritable acte de guerre.
Dominique Delpiroux
Le procureur de Paris, François Molins, a espéré vendredi que l’éventuelle capture de jihadistes en zone irako-syrienne, puisse permettre d’éclairer certaines zones d’ombre demeurant dans l’enquête sur les attentats du 13 novembre 2015.
« Il y a toujours des zones d’ombre dans les dossiers. (...) On peut toujours espérer que l’arrestation de certaines personnes, si elles acceptent de coopérer et de parler, puisse apporter des éléments positifs et des clés de lecture supplémentaires pour comprendre tout ce qu’il s’est passé », a déclaré sur France info M. Molins, à la tête du parquet antiterroriste.
Selon lui, ces témoignages pourraient notamment être utiles pour « éclairer soit le rôle de certains qu’on cherche et qu’on continue à chercher aujourd’hui, soit l’organisation de cette association terroriste et toutes les activités criminelles qui ont été les siennes ».
Les attentats qui ont frappé Paris et Saint-Denis le 13 novembre 2015, qui ont fait 130 morts et des centaines de blessés, ont été revendiqués par l’organisation Etat islamique (EI).
Une quinzaine de suspects sont mis en examen ou visés par un mandat d’arrêt dans cette enquête tentaculaire.
« On a vraiment été confronté dans ce dossier à une cellule terroriste d’une ampleur inédite, avec des investigations qui ont révélé de très fortes connexions entre les attentats (...) du 13 novembre mais aussi d’autres attentats en France et en Belgique », a dit M. Molins.
Certains noms, comme celui du Belgo-marocain Abdelhamid Abaaoud, donneur d’ordre présumé de l’attaque déjouée dans le train Thalys Amsterdam-Paris en août 2015 et cerveau des attentats du 13 novembre 2015, apparaissent en effet dans plusieurs dossiers.
Abdeslam sera jugé en décembre à Bruxelles
Lors d’une rencontre avec les parties civiles en octobre, les juges d’instruction ont dit espérer clore leur enquête au printemps 2019.
Salah Abdeslam, seul membre encore en vie des commandos, est détenu à Fleury-Mérogis, en banlieue parisienne. Il sera jugé en décembre à Bruxelles, pour des tirs sur des policiers en mars 2016, lors de la fusillade qui avait précipité la fin de ses quatre mois de fuite. Il a demandé à assister au procès. Les discussions se poursuivent entre la France et la Belgique pour fixer les modalités exactes de son transfert.
Deux ans plus tard : paroles des rescapés
Caroline Langlade : «C’est la solidarité qui me fait tenir»
Deux ans après l’attentat, elle essaie toujours de se « réparer ». Caroline Langlade assistait au concert du Bataclan quand les terroristes ont ouvert le feu sur le public. Pour panser ses plaies et celles des autres, la journaliste reporter d’images, désormais en arrêt maladie, a créé l’association Lifeforparis qui aide les victimes des attentats du 13 novembre. Puis elle a publié, il y a quelques jours « Sortie(s) de secours », un livre dans lequel elle retrace les faits de cette nuit cauchemardesque et expose son combat pour une meilleure prise en charge des victimes. Ses blessures « invisibles » se raniment en cette date de commémoration de l’attentat.
Quels souvenirs gardez-vous de cette nuit d’horreur ?
D’abord cette ambiance folle de concert, un public bon enfant, beaucoup de gens qui se connaissaient et avaient l’habitude de se croiser en concert. Puis les coups de feu, la loge des artistes de 7m2 où je m’entasse avec une quarantaine d’autres personnes pour échapper aux terroristes et où nous attendons pendant près de 3 h 30… À ce moment-là tout échappe à la réalité, on est comme dans un film. On communiquait entre nous mais difficilement pour ne pas que l’assaillant, de l’autre côté de la porte nous entende.
Deux ans après, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Je ne vais pas vraiment mieux. C’est par phases : un coup c’est la tête qui va et le corps qui lâche, une autre fois c’est l’inverse. Puis surtout il y a cette satanée date d’anniversaire qui arrive alors forcément ca va difficilement bien. Je m’occupe de la promotion de mon livre et je consacre beaucoup de temps à mon association.
C’est ce qui vous fait tenir ?
Surtout l’entraide et la solidarité. Celles que j’ai vues et vécues pendant l’attentat dans la loge, celles que je vis au quotidien grâce à mon association auprès des victimes. C’est à ça que je m’accroche, c’est ce qui me répare et me fait tenir debout depuis deux ans.
Le procès de Salah Abdeslam, le seul survivant des commandos qui ont attaqué Paris se tiendra en décembre prochain à Bruxelles. Vous y pensez ?
Pas du tout. Ça me semble encore bien trop éloigné. Je ne pense pas encore au temps judiciaire, déjà que je n’arrive pas à me projeter à plus de quatre jours…
Vous n’avez pas de colère ?
Non, je n’ai pas de haine et pas de colère. J’apprends à me canaliser, j’essaye d’être apaisée et sage, rien ne sert d’être dans la colère. En réalité, j’ai surtout de l’incompréhension, comme beaucoup de victimes.
Recueilli par Manon Adoue
François Mognard : «Dès qu’une porte claque je sursaute»
François Mognard a été blessé d’une balle dans l’abdomen et dans la hanche le 13 novembre 2015 alors qu’il assistait au concert du Bataclan. Deux ans après, cet autoentrepreneur originaire de Valence d’Agen dans le Tarn-et-Garonne va mieux. Il est retourné trois fois dans cette salle de concert parisienne.
De cette nuit du vendredi 13 novembre, quels sont les moments qui restent ?
C’est difficile de dire. J’ai été atteint par une balle au début de l’attaque. Les heures qui ont suivi je suis passé en mode survie, comme un reptilien. Dans ces moments-là la perception des événements est modifiée, les sons deviennent distants et les images sont floues. J’ai été longtemps incapable d’établir une chronologie des faits tellement je n’avais pas de repère.
À partir de quand vous avez commencé à vous sentir mieux ?
Quand je suis sorti des soins intensifs à l’hôpital Bichat à Paris. J’ai été hospitalisé pendant plus d’un mois puis transféré à l’hôpital des Invalides à Paris pour de la rééducation. J’ai commencé à me sentir mieux mais le traumatisme est toujours présent. Des études ont montré que la moitié des rescapés des attentats de Paris cette nuit-là ont gardé un état de stress post-traumatique. Je n’en fais pas partie.
Qu’est-ce qui a changé en deux ans ?
J’ai toujours une angoisse résiduelle qu’il est dur d’évacuer. Je suis devenu hyperattentif, dès qu’une porte claque je sursaute, je suis depuis très sensible au bruit. Je ne fais pas de cauchemar, je n’en ai d’ailleurs jamais fait. Il faut aller de l’avant, je suis retourné au Bataclan après les travaux puis deux fois après encore pour assister à des concerts. Je continue d’aller voir des artistes, je fais entre 50 et 100 concerts par an. Je ne veux pas avoir peur, j’ai pris du recul, je veux voir les choses sous un autre angle.
Avez-vous été indemnisé ?
J’ai reçu une avance mais l’expertise n’est pas encore complète, elle le sera quand je serai « consolidé » entièrement (N.D.L.R. une fois que l’ensemble des effets de l’attentat ont pu être identifiés).
Qu’attendez-vous du procès ?
Moi pas grand-chose mais c’est important pour les gens qui ont perdu quelqu’un. Important aussi de mettre un visage sur l’assaillant. Moi je suis surtout dans l’attente du « comment ». Je n’ai pas de haine, pas de rancœur car j’ai tourné la page mais je veux savoir, essayer d’expliquer.
Recueilli par Manon Adoue
Hugo Sarrade. Il était étudiant en master intelligence artificielle à la faculté des sciences de Montpellier d’où il était originaire. Passionné de rock et d’informatique, il était venu rejoindre son père à Paris pour le week-end. Il avait 23 ans.
Anne-Laure Arruebo. Originaire de Quint-Fonsegrives dans la Haute-Garonne, Anne-Laure Arruebo travaillait à Paris comme inspectrice des douanes. Elle avait 36 ans quand elle a été tuée à la terrasse d’un bar rue Charonne.
Bertrand Navarret. Originaire de Tarbes dans les Hautes-Pyrénées et âgé de 37 ans, Bertrand Navarret était notaire, comme son père et son oncle. Il assistait au concert du Bataclan avec des amis.
Richard Rammant. Originaire du Lot, ce passionné de blues était installé à Paris mais revenait tous les ans dans sa terre natale pour aider ses amis à organiser le Cahors Blues Festival.
Suzon Garrigues. L’étudiante en troisième année de lettres moderne à l’université Paris-Sorbonne était originaire de l’Aveyron. Elle fêtait ses 21 ans au Bataclan le 13 novembre 2015.
Mathieu Hoche. Ce jeune papa de 37 ans était originaire du Sud Aveyron, près de Roquefort et habitait Montreuil en Seine-Saint-Denis où il était cameraman pour France télévisions.
Que ferez-vous exactement lors de la journée de lundi ?
Nous ne connaissons pas le détail de cette journée. Nous nous y allons avec nos deux autres filles. A priori , nous verrons le Président de la République qui devrait se rendre sur tous les lieux des attentats. Notre seul recul est la première journée anniversaire à laquelle nous étions conviés l’an dernier. Nous avions pu échanger un court instant avec le Président Hollande. Nous en gardons un bon souvenir. Il avait montré une vraie sincérité et une grande humanité.
Cette journée est-elle importante pour vous ?
C’est un moment très dur mais aussi très important à plusieurs titres. Cela montre d’abord que l’on ne nous oublie pas. C’est la reconnaissance également d’une nation à toutes les victimes du terrorisme, ces personnes innocentes qui, comme notre fille, aimaient la vie. Chaque famille peut aller sur les sites où des plaques ont été installées, ce sont des moments forts. Se rendre là où les assassins ont agi est une épreuve, mais nous le faisons , soudés avec nos filles, pour Anne-Laure...
Le rendez-vous du 4 octobre avec le juge antiterroriste vous a-t-il aidé à avancer ?
Dans un sens oui, car l’on apprend des choses. Mais il existe encore des zones d’ombre qui , à nos yeux,sont importantes à éclaircir comme les sources de financement de ces terroristes, qui les a armés, etc.
Aujourd’hui, qu’attendez-vous de l’État en priorité ?
Nous pensons que la première des réponses à donner concerne les donneurs d’ordre. Qui sont les responsables de ces attentats? Je ne supporte plus le mot fatalité. Il faut qu’un vrai travail soit fait à la source, là ou existe le terreau des intégristes, en France, en Europe, pour identifier les commanditaires. Il est urgent que l’on ait aussi une vraie politique pour celles et ceux qui reviennent en France après s’être radicalisés...
Pensez-vous être suffisamment entendus, épaulés ?
Depuis le drame, on nous écoute. Mais nous avons été un peu déçus de savoir que le nouveau gouvernement avait supprimé le secrétariat d’État d’aides aux victimes. C’est désormais sous la responsabilité de la ministre de la Justice. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose. Jusqu’à présent , nous savions exactement à qui l’on pouvait s’adresser...
Malgré vos positions fermes, comment n’êtes-vous jamais tombés dans la haine ?
Nous reprendrons une formule de nos filles: ne succombons jamais à la haine, c’est leur façon de faire, pas la nôtre! On peut avoir des moments de colère, parfois, mais cela ne sert finalement à rien. C’est accorder une trop grande importance aux tueurs. En revanche, nous attendons beaucoup d’un procès qui devrait, selon nos informations,se dérouler en 2019, sachant qu’après 2020, Abdeslam pourrait retrouver sa liberté s’il n’est pas jugé d’ici là...
Qu’est devenue votre vie aujourd’hui ?
Nous sommes toujours dans une grande tristesse. Notre vie est plus proche des toiles noires de Soulage que de la beauté et la luminosité des impressionnistes! Nous essayons de surmonter la douleur tant bien que mal. Nous sommes une famille soudée, cela nous aide. Nous pensons aussi beaucoup à toutes autres familles blessées, avec l’espoir que cela ne se reproduise plus. Nous sommes très solidaires des familles victimes de Merah. Nous approuvons ce qu’elles ont dit sur la naïveté de certains. Tout le monde n’a pas ouvert les yeux. On le mesure, par exemple, en voyant que ça continue avec les révélations récentes faites par Charlie Hebdo, un journal toujours menacé...
Quel pourrait être le rayon de soleil dans votre quotidien ?
Dans ce ciel très nuageux, il y en a eu un récemment. En juin dernier, Gérald Darmanin, avec sa casquette de ministre de l’action et des comptes publics, a célébré,à l’École Nationale des Douanes de Tourcoing, la nouvelle promotion d’inspecteurs-élèves. Cette 69e session, qui comptait dans ses rangs 150 élèves a été baptisée Anne-Laure Arruebo et Cécile Coudon Peccadeau de l’Isle. C’est un vrai hommage. On sait combien notre fille aimait son métier et ses collègues de travail. Baptiser la médiathèque de Quint-Fonsegrives de son nom est aussi un magnifique geste de la ville. En revanche, de le voir régulièrement n’est pas forcément facile. Il faudra s’y faire...
Recueilli par Emmanuel Haillot
Le jour où la France a basculé
13 novembre 2015 : récit d’une nuit d’horreur
130 morts et 413 blessés. C’est le bilan de l’attaque la plus meurtrière perpétrée sur le sol français depuis la Seconde guerre mondiale. En quelques heures seulement, ce 13 novembre 2015, Paris a basculé dans l’horreur absolue, touchée par plusieurs fusillades et attentats-suicides.Cette nuit-là, les terrasses de la capitale étaient pleines de jeunes et de familles profitant des dernières douceurs automnales, les spectateurs étaient venus en masse encourager les Bleus qui affrontaient l’Allemagne au Stade de France, et les fans des Eagles of Death Metal s’étaient donné rendez-vous au Bataclan pour un concert du groupe de rock américain.
Mais à 21h17, la vie de centaines de Français s’est brisée. Sur la pelouse du Stade de France, certains joueurs se figent, interpellés par un bruit suspect. Dehors, c’est un kamikaze qui a actionné son gilet d’explosifs.Dans les tribunes, on pense à de simples pétards mais déjà, en loge officielle,l’entourage de François Hollande s’agite. Les déflagrations correspondaient bien à des attaques et d’autres attentats sont en cours au cœur de Paris. Une longue nuit de violence s’annonce, terrible. Une nuit qui changera la France à jamais…
- 21h17 : 1ère explosion face au resto/bar à cocktails« Events », rue Jules-Rimet, près de la porte D du Stade de France où se déroule depuis vingt minutes le match amical de foot France-Allemagne. Un kamikaze a actionné son gilet d’explosifs, un passant est tué par le souffle.
- 21h20 : 2e explosion toujours Jules-Rimet, face à la poste H et près du Quick. Un deuxième kamikaze s’est fait exploser.
- 21h25 : 3 hommes ouvrent le feu sur le bistrot « Le Carillon », à bord d’une Seat noire immatriculée en Belgique, au 18 rue Alibert. Puis sur l’établissement situé juste en face, « Le Petit Cambodge » au 20 rue Alibert. Le bilan est lourd : 26 morts et 10 blessés grave.
- 21h25 : 3 hommes ouvrent le feu sur le bistrot « Le Carillon », à bord d’une Seat noire immatriculée en Belgique, au 18 rue Alibert. Puis sur l’établissement situé juste en face, « Le Petit Cambodge » au 20 rue Alibert. Le bilan est lourd : 26 morts et 10 blessés grave.
- 21h32 : Le commando tire sur la brasserie « Café Bonne Bière » au 32 rue du Faubourg-du-Temple et près de la terrasse d’un restaurant italien, « Casa Nostra » au 2 rue de la Fontaine-au-Roi. Ils font 5 morts et 8 blessés grave.
- 21h36 : L’attaque du restaurant « La Belle Equipe » au 92 rue de la Charonne fait 19 morts et 14 blessés grave.
- 21h36 : L’attaque du restaurant « La Belle Equipe » au 92 rue de la Charonne fait 19 morts et 14 blessés grave.
- 21h40 : 3 individus armés, à visage découvert, descendent d’une Polo devant la salle de spectacle du Bataclan et font feu à l’entrée principale où se déroule, depuis 30 minutes, le concert des Eagles of Death Metal.
- 21h42 : ils envoient un sms sur un numéro belge « On est parti, on commence », ils désactivent la ligne et jettent le téléphone dans une poubelle. Ils font irruption dans la salle et ouvrent le feu en rafale jusqu’à 22 heures.
- 21h43 : un des kamikazes déposé au café-brasserie « Comptoir Voltaire », au 253 bd Voltaire, se fait exploser. Le kamikaze est tué après avoir fait une dizaine de blessés.
- 21h51 : intervention de la BAC duVal-de-Marne au Bataclan où les terroristes font un véritable carnage.
- 21h57 : un 1er terroriste est abattu sur la scène du Bataclan.
- 22h20 : arrivée de la BRI de Paris en renfort.
- 23h15 : les deux autres terroristes sont retranchés dans une pièce fermée, à l’étage, avec des otages. Un des otages est désigné comme porte-voix par les terroristes et communique un numéro de téléphone aux policiers. Une heure de négociation commence avec 5 appels passés entre 23h27 et 0h18.
- 23h28 : après le 2e appel, le négociateur demande l’autorisation de donner l’assaut.
- 23h45 : le préfet donne son accord pour l’assaut final.
- 0h18 : l’assaut est donné par la BRI et le RAID en renfort. Un des terroristes réussit à actionner son gilet explosif, la déflagration tue le dernier terroriste. Tous les otages ont pu être évacués sains et saufs lors de cette ultime action qui aura pris fin à 0h23. 90 personnes y ont perdu la vie.
Survol des différents lieux attaqués dans Paris :
Qui sont les terroristes du 13 novembre ?
Dix hommes et trois commandos pour une soirée de l’horreur et un bilan meurtrier : 130 personnes ont perdu la vie le soir du 13 novembre 2015 à Paris. La cellule de crise est lancée dix minutes après la première attaque. De là commence une très vaste enquête cherchant à démanteler un réseau terroriste international. L’état d’urgence est décrété le 14 novembre par le chef du gouvernement. La traque des terroristes encore vivants, elle, va prendre plusieurs mois.
Au Stade de France
Ahmad Al-Mohammad, 25 ans.
Enregistré le 3 octobre 2015 sur l’île de Leros, parmi un groupe de migrants, il avait reçu le secours des gardes-côtiers grecs avant de poursuivre sa route pour la France. Le kamikaze est le premier à avoir déclenché sa ceinture d’explosifs vendredi soir, à 21h20, devant la porte D du Stade de France, tuant ainsi un passant. Un passeport syrien a été retrouvé sur les lieux du drame avec sa photo et probablement le nom d’un soldat mort de Bachar Al-Assad.Sa véritable identité reste un mystère.
Bilal Hafdi, 20 ans.
Il est le plus jeune des terroristes identifiés. Cet ancien étudiant en électricité, de nationalité française et résident belge, s’avérait inconnu des services de sécurité français. Il restait toutefois fiché en Belgique et recherché depuis son départ pour la Syrie en 2014. Sa mère avait témoigné dans le quotidien belge La Libre pour évoquer son désarroi face à la radicalisation de son fils. Il publiait sur Facebook des appels à commettre des attentats plusieurs mois avant le 13 novembre. Il a déclenché sa ceinture explosive à proximité de la porte H du Stade de France à 21h30 sans faire de victime.
Mohamad al-Mahmod.
Autre kamikaze qui se fait exploser à 21 h 53, rue de la Cokerie, selon le même mode opératoire, ne faisant aucune victime.
Ahmad Al-Mohammad et Mohamad al-Mahmod, dont les identités ne sont pas confirmées, ont été contrôlés à la frontière austro-hongroise en septembre 2015. Les enquêteurs pensent que ces deux Irakiens sont frères.
Salah Abdeslam, 26 ans.
Ce Belge est l’un des logisticiens présumés des attentats du 13 novembre et le seul encore vivant. Présent aux alentours du stade de France, il a convoyé les trois kamikazes avant de se garer dans le 18e arrondissement de Paris. Après quelques heures d’errance dans un immeuble, à manger Mc Donald’s et à fumer du shit, il a organisé son exfiltration vers Molenbeek (Belgique), sa ville d’origine. Il a été retrouvé après quatre mois de cavale. Pendant son interrogatoire, il a indiqué qu’il « voulait se faire exploser » le soir du 13 novembre,mais qu’il « a fait machine arrière ». Incarcéré et à l’isolement dans la prison de Fleury-Mérogis, il applique son droit au silence. Les enquêteurs pensent également qu’il a participé à l’acheminement de jihadistes en Europe.
Une traque de plusieurs mois
Le fugitif a été localisé grâce à la dénonciation d’une connaissance. Il avait sollicité cette dernière pour l’héberger en urgence après la fusillade de Forest, où il s’était enfui par les toits quelques jours plus tôt. Au plus fort de la traque, 800 limiers étaient à ses trousses mais c’est une simple perquisition de routine dans un appartement sans électricité qui a permis de retrouver l’ennemi public numéro un.
Avant les attentats, la logistique
Salah Abdeslam est au cœur d’un réseau international qui le mène depuis la Belgique vers l’Italie, la Grèce et la Hongrie début août 2015 puis à la frontière autrichienne avec Soufiane Kayal et Samir Bouzid (les cerveaux des commandos depuis Bruxelles). En septembre 2015, il pourrait bien avoir recruté des hommes parmi des migrants transitant par Budapest. Contrôlé le 3 octobre à Ulm, en Allemagne, il fait ensuite deux incursions en France pour acheter douze déclencheurs à distance à Saint-Ouen-l’Aumône, puis quinze litres d’eau oxygénée à Beauvais. D’un vaste réseau jihadiste, Salah Abdeslam se retrouve retranché avec quelques connaissances en Belgique. Il se pourrait que l’homme soit dans la ligne de mire de l’EI, après son refus de mourir « en martyr ».
L’attaque des terrasses
Brahim Abdeslam, 31 ans.
Né en France et résidant en Belgique, il est le frère aîné de Salah Abdeslam. Ensemble, ils tenaient un bar qui a fermé quelques jours plus tôt, le 4 novembre 2015, pour trouble à l’ordre public et trafic de stupéfiants. Le terroriste avait fait plusieurs séjours en prison pour délinquance. Les services belges le surveillaient également dans « une procédure liée à la problématique des départs en Syrie ». Il s’est fait exploser à la terrasse du bistrot Comptoir Voltaire, au 253 boulevard Voltaire, à deux pas de la place de la Nation, au moment de passer commande à 21h41. Seule la serveuse a été blessée à l’abdomen
Abdelhamid Abaaoud, 28 ans.
Radicalisé auprès d’imams fondamentalistes de Molenbeek, le jihadiste de l’Etat islamique était impliqué dans plusieurs projets terroristes. Il avait disparu en Syrie avec son frère de 13 ans en 2013. Actif sur les réseaux sociaux, il diffusait une propagande macabre et restait présent dans les médias ihadistes tout en échappant aux mailles des filets de la police, notamment française, lors de séjours en Europe. C’est de la Belgique qu’il a pu se procurer des armes et s’organiser dans une planque. Cerveau présumé des attaques de Paris et de Saint-Denis, il est abattu par la police le 18 novembre 2015. En juillet, il avait été condamné à Bruxelles, en son absence, à 20 ans de prison dans un procès sur les filières de recrutement de jihadistes belges pour la Syrie. Abaaoud se vantait de pouvoir franchir les frontières européennes très facilement. Il est également soupçonné d’avoir radicalisé les frères Abdeslam.
Chakib Akrouh, 25 ans.
Ce Belgo-Marocain, habitant de Molenbeek et parti en Syrie, s’est fait exploser le 18 novembre lors de l’assaut du Raid contre un logement de Saint-Denis où il était retranché avec Abdelhamid Abaaoud et la cousine de celui-ci. L’explosion a tué les trois alors que le Raid s’apprêtait à rentrer. Les enquêteurs ont établi que Chakib Akrouh est le troisième homme du « commando des terrasses », les deux autres membres étant Abdelhamid Abaaoud et Brahim Abdeslam.
Le trio se déplaçait dans une Seat conduite par Abaaoud qui s’est arrêtée dans trois lieux de l’Est parisien. En un quart d’heure, ils ont tué 39 personnes. Brahim Abdeslam est le seul à avoir enclenché sa ceinture explosive. Pour leur part, Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh sont passés par la station de métro Croix de Chavaux, à Montreuil, seulement trente minutes après les fusillades des terrasses. Les images des caméras de vidéosurveillance de la RATP en attestent.
La tuerie du Bataclan
Il est 21h56 lorsque le premier message radio signale la tuerie qui a commencé environ neuf minutes plus tôt. S’en suivront 2 heures 38 minutes et 44 secondes de cauchemar. « Vous bombardez nos frères en Syrie et en Irak. Pourquoi on est ici nous ? On est venus jusqu’en Syrie pour vous faire la même chose », clame l’un des assaillants. C’est après douze minutes d’exécutions en série que l’attaque est revendiquée clairement par le groupe Etat islamique. Un premier policier de la BAC nuit a réussi à entrer dans la salle par la porte principale lorsqu’il surprend Samy Animour. Il tire sur le fanatique dont la ceinture explosive s’enclenche. Les appels passent mal, mais la police tente de rentrer en contact avec les deux autres terroristes via le téléphone portable de l’un des spectateurs. A 23 h 37, le Bataclan est plongé dans un bain de sang. Il faudra attendre quarante minutes avant que l’assaut final soit donné dans la salle où s’étaient retranchés les jihadistes.
Ismaël Omar Mostefaï, 29 ans.
Fiché S depuis 2010, il est l’un des trois kamikazes du Bataclan et le premier à avoir été identifié par son empreinte digitale. Né dans l’Essonne, en région parisienne, le terroriste n’a jamais été incarcéré. En revanche, il a été condamné huit fois pour des délits : conduite sans permis, outrages et rébellion, détention de stupéfiants... Mostefaï se serait radicalisé en suivant l’enseignement d’un Marocain venu de Belgique. Il s’est rendu en Turquie à l’automne 2013, puis vraisemblablement en Syrie où il aurait séjourné plusieurs mois. Il avait cinq frères et sœurs et une fille.
Samy Amimour, 28 ans.
IL est originaire de Drancy, en Seine-Saint-Denis. Les services de police le connaissaient depuis 2012, année du début de sa radicalisation, mais aussi période qui a succédé son départ pour la Syrie le 11 septembre 2013. Un mandat d’arrêt international est délivré contre lui, ce qui ne l’a pas empêché de rentrer en France pour commettre les attentats du 13 novembre. Deuxième d’une fratrie de trois enfants, le kamikaze qui a toujours vécu chez ses parents, a également travaillé 15 mois, jusqu’en 2012, en tant que chauffeur de bus pour la RATP.
Foued-Mohamed Aggad, 23 ans.
Strasbourgeois, il avait rejoint la Syrie avec son frère et un groupe d’amis en décembre 2013. Tous avaient tenté de revenir, excepté lui, qui arborait fièrement le drapeau de l’EI sur une photo retrouvée dans un téléphone portable. C’est son épouse religieuse, actuellement en Syrie, qui a prévenu la mère de ce dernier qu’il était mort à Paris.
Un quatrième commando ?
Mohammed Usman, Pakistanais de 22 ans et Adel Haddadi, Algérien de 29 ans.
Les deux hommes ont été interpellés dans un camp de réfugiés de Salzbourg en décembre. L’Algérien demandait l’asile pour l’Allemagne. Les enquêteurs autrichiens ont ainsi relevé des appels à un contact turc impliqué dans l’organisation des attentats du 13 novembre. Soumis à un interrogatoire, les deux hommes ont fini par livrer leur véritable identité en février et avoué qu’ils devaient bien participer aux attentats de Paris. Ils ont été remis fin juillet à la justice française.
Les deux hommes ont voyagé ensemble avec les deux Irakiens qui se sont fait exploser au Stade de France. Ils sont partis de Syrie et leurs chemins ont divergé en Grèce. Leur interpellation sur l’île grecque de Leros, pour détention de faux passeports le 3 octobre a empêché Adel Haddadi et Muhamad Usman de poursuivre leur route vers Paris.
Abid Tabaouni.
Interpellé en juillet à Bruxelles, ce Marocain a été remis aux autorités autrichiennes en août. L’homme aurait été en lien avec les deux présumés membres de l’organisation terroriste Etat islamique, Usman et Haddadi. Les trois se trouvaient dans le même camp de réfugiés en Autriche, mais seul Tabaouni avait réussi à prendre la fuite.
La chronologie des faits avec notre timeline
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L’assaut de Saint-Denis
Quelques heures après les attentats, une information révèle la présence d’individus en lien avec les attentats dans une zone industrielle d’Aubervilliers, rue Marcel Carné, terrés sur un talus végétalisé. Les enquêteurs de terrain en sont informés le lendemain et décident d’installer une caméra en début d’après-midi. La cousine d’Abaaoud est clairement identifiée, ainsi que les deux autres terroristes.
Le 18 novembre, le Raid prend d’assaut un appartement rue Corbillon à Saint-Denis dans lequel étaient retranchés Abdelhamid Abaaoud, cerveau présumé des attentats du 13 novembre qui ont fait 130 morts, sa cousine Hasna Aitboulahcen et un complice, identifié plusieurs semaines plus tard. Ils’agit de Chakib Akrouh, un Belgo-Marocain de 25 ans.
Les trois individus sont tués durant l’intervention musclée des policiers. Le procureur François Molins évoque « un assaut d’une extrême difficulté », et « plus de 5 000 munitions » utilisées par les hommes du Raid.
Comment Abaaoud a pu échapper à toutes les polices à ses trousses
Six mois après les attentats de Paris, on apprenait que le terroriste Abaaoud était dans la ligne de mire de nombreux services secrets et qu’il était passé entre les mailles du filet.
Abdelhamid Abaaoud a terminé sa course meurtrière à Saint-Denis, dans la souricière que lui avait tendue la police. Hélas, trop tard : cet homme que l’on cherchait un peu partout entre l’Europe et la Syrie venait de diriger les attentats de Paris : plus de 130 morts…
Car les services de renseignements, français, mais aussi d’autres pays, ont repéré dès 2013 ce petit voyou originaire de Molenbeek, converti au jihad. On trouve une première trace d’un de ses nombreux voyages le 9 mars 2013 à Istanbul. On a déjà à l’œil cet individu narcissique et violent qui joue la provoc’ sur les réseaux sociaux.
Premier « exploit » d’Abaaoud : début 2014, il rentre à Bruxelles pour entraîner avec lui dans l’enfer syrien son petit frère Younès. Molenbeek-Raqqa, Raqqa-Molenbeek, et de nouveau Molenbeek-Raqqa, trois voyages et pas une seule fois on épingle ce terroriste en puissance aux frontières de l’Europe.
«Allah a aveuglé leur vision»
Vient ensuite l’épisode répugnant où Abaaoud parade sur un tracteur, avec lequel il tracte les cadavres de ses adversaires. Quelques mois plus tard, Mehdi Nemmouche, un de ses hommes de main, téléguidé par téléphone depuis la Syrie, commet un massacre au Musée Juif de Bruxelles.
On cerne de mieux en mieux le personnage et l’on devine ses déplacements en Syrie. On le repère ensuite à Athènes, où plusieurs services tentent de l’interpeller, en vain, malgré les repérages précis de la CIA. Il fanfaronnera auprès du magazine de Daech, « Daquib », racontant comment il a échappé aux services secrets : « Allah a aveuglé leur vision et j’ai pu partir ! »
Lors d’une de ces opérations à Athènes, on manque de l’arrêter : un de ses complices est pris. Mais il produit un faux passeport syrien et il est relâché. Il s’agit de Walid Haman, un jihadiste originaire de Trappes.
Qu’Abaaoud soit dangereux, tout le monde le savait. Mais en août 2015, un de ses complices, arrêté, raconte qu’il « m’a dit de choisir une cible facile, un concert par exemple, là où il y a du monde (…) et de mourir en combattant avec des otages ». Le futur scénario de Paris...
On pense qu’il est aussi derrière le projet d’attentat d’une église à Villejuif en avril.
La menace est telle que François Hollande va demander de modifier la stratégie militaire du pays et de bombarder spécifiquement les camps syriens où Abaaoud est supposé se trouver : la consigne est de l’éliminer avant que le pire arrive.
Abaaoud le passe-muraille va s’offrir le luxe de revenir dans l’espace Schengen : en septembre 2015, il est en Grèce, selon des indications reçues après les attentats. Comment a-t-il fait ? C’est un mystère, mais les services secret ont découvert que les jihadistes évitaient les vols directs, en faisant par exemple escale en République Tchèque. De quoi avoir un coup d’avance et préparer le 13 novembre.
L'ombre du Toulousain Fabien Clain
Il a revendiqué les attentats au nom de Daech
Attaques contre le Bataclan, projet d’attentat contre une église de Villefuif et policiers assassinés dans les Yvelines : la présence du Toulousain d’origine réunionnaise, Fabien Clain, plane au-dessus de chaque attentat ou tentative d’attentat sur le territoire national. Le nom de cet homme de 38 ans, radicalisé au début des années 2000 à Toulouse et condamné en 2009 à 5 ans de prison pour sa participation à une filière d’acheminement de jihadistes vers l’Irak, revient inlassablement dans les dernières enquêtes antiterroristes. Connu pour être la voix de Daech qui a revendiqué les attentats parisiens du 13 novembre 2015, Fabien Clain est également cité dans l’affaire de l’horrible attaque contre le couple de policiers à Magnanville, commise par Larossi Abballa.
Au sein de la galaxie jihadiste de Daech, Fabien Clain occupe un rôle de soutien logistique aux candidats au sacrifice final, tout jouant les chefs propagandistes et en restant bien à l’écart du front syrien. « Au regard de son passé, de son histoire, de ses multiples voyages en Belgique et en Egypte, Fabien Clain s’est construit un réseau, un carnet d’adresses qui le met en relation avec d’autres jihadistes. Voir son nom apparaître dans l’affaire du double assassinat du couple de policiers est la preuve que cet homme représente un danger réel », commente Christophe Rouget du syndicat des cadres de la sécurité intérieure, à Toulouse.
De retour à Toulouse en 2015 ?
Fiché S, Fabien Clain est interdit de séjour dans 23 départements français dont la Haute-Garonne après sa sortie de prison en 2012. Alors qu’il entame sa mise au vert en Normandie, réfutant toute proximité avec Mohammed Merah, le Toulousain s’installe à Alençon où il continue de prêcher. Fin janvier 2015, quelques semaines après les attentats à « Charlie Hebdo », Clain aurait acheté du matériel audio dans l’enseigne du centre de Toulouse, « Music Action », alors qu’il est interdit de séjour dans la Ville rose. À trois reprises, il se serait rendu dans ce magasin spécialisé pour effectuer plus de 3 000 € d’achats. Ce n’est que 10 mois plus tard que les policiers ont connaissance de sa présence dans cette enseigne. Clain aurait été reconnu par un membre du personnel alors que sa photo était diffusée dans les médias. « Comment se fait-il qu’un homme aussi discret que Clain, tout en se sachant surveillé, ait pu prendre le risque de faire des achats comme n’importe quel individu dans un magasin de la ville ? », s’interroge un professionnel du renseignement toulousain dubitatif quant à la réelle présence du terroriste à Toulouse, en janvier 2015. Il aurait alors rejoint la Syrie trois mois plus tard.
Le « clan des Belphégor »
Pour cet homme au charisme reconnu, tout commence à Toulouse au début des années 2000 après sa conversion à l’islam. Issu d’une famille catholique pratiquante, Fabien Clain, devenu Omar, convertit son frère Jean-Michel avec lequel il s’essaye au rap. Ils se font appeler les « rappeleurs ». Le premier écrit des textes et le second les chante. Dans la Ville rose, Fabien Clain côtoie Sabri Essid et Abdelkader Merah, deux figures du salafisme toulousain et proches de l’Emir blanc, Olivier Corel, un idéologue d’origine syrienne, ex-mentor des frères Merah et résidant à Artigat, en Ariège. De l’ancienne mosquée du Mirail, où il tente d’imposer sa vision de l’islam radical jusque sur les marchés des cités toulousaines, Fabien Clain fait du prosélytisme à tout-va, cautionnant les attaques de Ben Laden à travers la vente de livres et de documents audiovisuels sur les étals au Mirail. Sa femme, Mylène, et ses amies sont gantées et vêtues d’un voile intégral. C’est l’époque du « clan des Belphégor ».
VRP de Daech
Décrit comme ayant joué un rôle essentiel dans la radicalisation des membres de la communauté salafiste à Toulouse, Fabien Clain multiplie les voyages en Belgique et en Egypte où il part en septembre 2006 avec sa famille en vue de s’installer au Caire. En Belgique, il tisse des liens avec la communauté salafiste dans les quartiers de Bruxelles où il ramène une foisonnante littérature coranique.
Aujourd’hui, Fabien Clain a étendu ses filets en Europe en multipliant ses relations, jouant les « VRP » pour Daech. « À chaque fois qu’un attentat se produit, Daech apporte son logo comme un tampon validant l’action qui vient d’être commise. Mais quand l’attentat est raté, Daech se garde bien d’apparaître », poursuit Christophe Rouget. Dans ce contexte, difficile de définir avec exactitude le rôle précis de Fabien Clain au sein de l’entreprise criminelle de l’État islamique.
Spécialiste des réseaux sociaux
Communicant aguerri, logisticien et propagandiste reconnu, il utilise les réseaux sociaux pour revendiquer et diffuser les messages d’endoctrinement. Une terreur par la communication vieille comme le monde. « Jusqu’où peut-on le laisser assurer cette propagande sur les réseaux sociaux ? », s’interroge un enquêteur bien conscient que la suppression totale de ces tribunes propagandistes restent étroitement liées à des enjeux financiers et internationaux. C’est encore une fois sur internet qu’un jeune converti de 22 ans s’est radicalisé subitement. Assigné à résidence à L’Isle-sur-Tarn et fiché S, cet apprenti jihadiste a été arrêté par les policiers de la DGSI, lundi 13 juin 2016, à Carcassonne, alors qu’il voulait tuer au non d’Allah des touristes et des policiers.
Des liens avec Mohamed Merah
Fabien Clain, le Toulousain qui a prêté sa voix pour revendiquer les attaques du 13-novembre au nom de Daech, et Mohammed Merah, auteur des tueries de mars 2012 à Toulouse et Montauban se connaissaient et correspondaient régulièrement. De nombreux éléments d’enquête sur ces deux personnages et leurs exactions l’ont montré.
L’un des courriers écrits de la main de Fabien Clain depuis sa cellule de Fleury-Mérogis illustre ainsi l’influence du jihadiste de 38 ans sur toute une génération de jeunes francophones, dont Merah. On y comprend, entre les lignes, qu’il était le « guide spirituel » du « tueur au scooter », contrairement à ce qu’il a toujours affirmé.
Jamais interrogé dans le dossier Merah
« Réjouis-toi de savoir que ton seigneur a préparé un paradis immense pour ceux qui ont cru et accompli de bonnes œuvres. C’est vraiment une grâce d’Allah de nous avoir guidés à la vérité ». Ces mots ont été adressés en 2009 à Mohamed Merah, alors âgé de 20 ans.
Trois ans plus tard, le jeune radicalisé assassinera froidement sept personnes, dont trois enfants dans une école juive. Fabien Clain se trouve à cette époque derrière les barreaux, condamné dans l’affaire de la filière djihadiste «d’Artigat». Dès lors, les juges qui enquêtent sur les attentats de Toulouse ne s’intéressent pas à lui. Il ne sera ainsi jamais interrogé dans le dossier Merah.
Frédéric Abéla, La Dépêche du Midi
La France en guerre
Une enquête hors norme a été engagée pour identifier les auteurs des attentats les plus meurtriers jamais commis en France, un « acte de guerre » au cœur de Paris revendiqué par le groupe jihadiste État islamique (EI), qui a fait 130 morts. Pour François Hollande, qui a décrété deux mesures exceptionnelles - un deuil national de trois jours, jusqu’à mardi,et l’état d’urgence, sans doute pour plus de 12 jours -, les attaques de vendredi soir à Paris sont un « acte de guerre ». Pour la première fois en France, des kamikazes ont frappé. Et contrairement aux derniers attentats, les jihadistes ont ouvert le feu de façon indiscriminée, cherchant à tuer en masse. La France est « en guerre » et poursuivra ses frappes en Syrie « avec la volonté (...) d’anéantir » l’EI, a insisté le Premier ministre Manuel Valls. Sept assaillants sont morts, tous après l’explosion de leur ceinture piégée, a précisé le procureur de Paris François Molins, au terme de six attaques menées « très vraisemblablement » par « trois équipes de terroristes coordonnées » ciblant les spectateurs d’un concert de rock au Bataclan, des consommateurs à des terrasses de cafés et restaurants du centre de la capitale et près du Stade de France, au nord de Paris. Le bilan est sans précédent : au moins 130 morts, outre les assaillants, et plusieurs centaines de blessés. Le groupe EI (Daech) a revendiqué ces attentats, affirmant que « huit frères portant des ceintures explosives et armés de fusils d’assaut ont visé des sites choisis soigneusement au cœur de Paris ».
Un président chef de guerre
Un France-Allemagne, quand on aime le foot, ça ne se refuse pas. Y compris lorsqu’on est président de la République. C’est pourquoi, en s’installant dans la loge présidentielle du Stade de France le vendredi 13 novembre, François Hollande pense s’octroyer un moment de détente. Mais, peu avant 21h30, la soirée bascule dans le cauchemar : deux explosions retentissent à cinq minutes d’intervalle en dehors de l’enceinte sportive. Quelques instants plus tard, un officier de sécurité se penche à l’oreille du Président et l’avise de la nature des déflagrations : des attentats. Hollande se rend aussitôt au PC de sécurité du stade et téléphone à Bernard Cazeneuve pour lui demander de le rejoindre. À ce moment-là, il ne sait pas que la tuerie du Bataclan est en train de se produire.Il l’apprend quelques minutes plus tard, regagne les tribunes pour demander aux ministres présents de ne pas quitter leur place et aux organisateurs de ne pas divulguer l’information afin de ne pas susciter la panique chez les spectateurs.Il file ensuite avec Cazeneuve au ministère de l’Intérieur pour réunir une cellule interministérielle de crise, dans une salle du sous-sol, où les rejoint Manuel Valls qui arrive en urgence de son domicile. Plusieurs ministres ont été convoqués à la hâte ainsi que les responsables de la sécurité. Ambiance lourde, faite plus de conversations à voix basses que d’agitation. On y décide l’instauration de l’état d’urgence. Hollande et Valls tombent d’accord pour convoquer le Parlement en Congrès à Versailles dès lundi. 23h45. Le Président retourne à l’Élysée. Il y retrouve ses plus proches collaborateurs. « Il est très déterminé. Il fait preuve d’une grande froideur dans les décisions qu’il prend », raconte l’un d’eux. Mais, lorsqu’il s’adresse aux Français quelques minutes plus tard, sa voix ne peut masquer son émotion. » À ses conseillers, il lâche : « Nous sommes confrontés à une horreur à laquelle il faut répondre de la manière la plus impitoyable. » « Impitoyable, le mot reviendra souvent dans sa bouche au cours des heures qui suivent », constate son entourage. Car, à minuit, lorsqu’il préside un conseil des ministres exceptionnel, Hollande sait que le bilan de cette soirée noire est déjà d’une centaine de morts. Au cours de ce conclave, il dénonce la volonté de « tuer en masse », annonce qu’il a décidé l’état d’urgence, il fait adopter un décret pour convoquer le Parlement à Versailles, et insiste sur le rassemblement et l’unité. Il a compris que son quinquennat serait désormais marqué irrémédiablement du sceau sanglant du terrorisme.
Il rentre à l’Élysée à 4 heures du matin
Le Président se rend ensuite près du Bataclan, s’arrête à un poste de secours, puis gagne à nouveau le ministère de l’Intérieur qui, en cette nuit de sang, n’a jamais aussi bien porté le surnom que lui a donné Bernard Cazeneuve – « le ministère des drames et de la souffrance ». À 4 heures du matin, Hollande rentre à l’Élysée. Dans son bureau, il téléphone à Barack Obama. En face de lui, le général Puga, général cinq étoiles et chef d’état-major particulier du Président, ainsi que Gaspard Gantzer, le patron de la communication de l’Élysée. Obama lui fait part de son soutien. Hollande lui répond : « Il faut frapper Daech. » Le Président américain lui indique alors que son état-major va prendre contact avec Puga. Au terme d’une journée interminable et « d’horreur », Hollande va tenter de trouver le sommeil pendant quelques heures. Y parvient-il alors qu’il sait que tous les terroristes n’ont pas été neutralisés ?
Il n’oublie pas la politique intérieure
Samedi, 9 heures. Le bilan des tueries de la veille s’est alourdi. Conseil de Défense à l’Élysée pendant une heure dix. Hollande se retire ensuite dans son bureau avec Valls, Cazeneuve et Taubira pour préparer la nouvelle allocution qu’il va prononcer. Puis, le visage grave, il déclare aux Français : « C’est un acte de guerre, préparé, organisé, planifié de l’extérieur avec des complicités intérieures », avant de désigner « l’armée terroriste de Daech » et de décréter trois jours de deuil national.Chef de guerre, Hollande n’oublie pas la politique intérieure. Il veut rassembler le pays dans l’union nationale. Alors,il téléphone à Sarkozy. Rendez-vous est pris le lendemain matin pour un tête-à-tête, avant que le Président ne reçoive l’après-midi les chefs des partis politiques et les responsables de l’Assemblée nationale et du Sénat.À 15 heures, nouveau Conseil des ministres. Tout le sommet de l’État est mobilisé sur ces attentats. Les ministères biensûr, mais aussi le cabinet du Président à commencer par Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire général de l’Élysée, et les responsables des pôles politique, diplomatique, sécurité, communication. Les réunions s’enchaînent, Hollande téléphone à de nombreux chefs d’État. « On est tout le temps avec le Président », dit un de ses proches. Dans l’épreuve, ses conseillers l’observent plus que jamais. Tous dressent le même constat : « Il ne laisse rien paraître. Il ne montre rien, il ne se livre pas, ce n’est pas sa nature. Il décide. Avec sang-froid. » Dimanche. 10 heures Hollande reçoit Sarkozy pendant une heure. À sa sortie, l’ancien Président s’adonne à quelques critiques battant en brèche l’unité nationale recherchée par Hollande. L’après-midi, dans la salle des fêtes, le chef de l’État reçoit les chefs de partis et les présidents de groupes à l’Assemblée et au Sénat. « Il fait un état de la situation, répond aux questions, ne laissant rien paraître de ses sentiments », relate un participant.Hollande retravaille son discours avec Valls et Cazeneuve lundi matin et jusqu’en début d’après-midi, Hollande prépare son discours devant le Congrès. Des conseillers lui ont rédigé une trame. Mais, avec Valls et Cazeneuve, il retravaille méticuleusement aussi bien le fond que la forme. « Valls et Cazeneuve sont les deux hommes sur lesquels il s’est le plus appuyé au cours de ces événements », témoigne un proche. Au Congrès, au terme de son discours, il écoute, raide, le regard fixé au loin, la Marseillaise qu’entonnent les parlementaires. Mardi. La traque des terroristes continue. Hollande est en liaison permanente avec Cazeneuve. Comme tous les mardis soirs,il reçoit à dîner les responsables de la majorité. « Il nous dit que le risque est toujours là, organise les travaux du Parlement pour la fin de la semaine. Il ne dissocie pas le terrorisme et la politique. Pour lui, c’est la même séquence. On le sent pleinement chef », raconte un participant, un brin étonné.Après le départ de l’Élysée de ses invités, Hollande est alerté par Cazeneuve : « Le cerveau des attentats a été localisé à Saint-Denis, le Raid va intervenir. » Dès lors commence une nouvelle nuit d’angoisse pour le Président. Son ministre de l’Intérieur le tient continuellement informé de l’assaut. En milieu de matinée, quand les terroristes sont mis hors d’état de nuire, le Président décide de ne rien changer à son agenda et de se rendre à la réunion des maires de France. « Pour lui, c’était une occasion supplémentaire d’appeler à l’unité nationale à travers les élus », explique un conseiller. À 19 heures, Hollande reçoit les présidents des groupes parlementaires socialistes et les présidents de commissions aurez-de-chaussée de l’Élysée dans le salon bleu. « Il m’a paru un peu fatigué, mais il était très déterminé, confie une participante. Il était surtout soucieux de prendre le pouls du terrain à travers les témoignages qu’on pouvait lui apporter de nos régions. » Hollande à la fois chef de guerre contre Daech et général en chef des troupes socialistes ! Tous dressent le même constat : « Il ne laisse rien paraître. Il ne montre rien, il ne se livre pas, ce n’est pas sa nature. Il décide. Avec sang-froid. »
Jean-Pierre Bédéï
Les militaires de la région engagés
En quelques jours, la France s’est mise sur le pied de guerre : les attaques du 13 novembre ont des effets non seulement dans l’Hexagone, mais notre diplomatie prend un coup d’accélérateur. Rien ne peut plus être comme avant, et la France est en train de modifier profondément à la fois les règles de sa sécurité intérieure et celle de sa diplomatie. Les attentats du 13 novembre, au lieu de paralyser le pays, ont en quelque sorte déclenché une réaction très vive pour se débarrasser du terrorisme. Or, ce terrorisme vient essentiellement de Daech, l’État islamique. Et la nuisance de cette organisation s’exerce non seulement sur le territoire de l’Irak et de la Syrie, où elle a profité des chaos irakien et syrien pour s’établir, mais également sur l’ensemble de la planète, avec ses missionnaires de la mort. Sur le territoire national, 750 parachutistes étaient déjà d’alerte permanente, après la tuerie de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, 250 hommes étant à pied d’œuvre à Paris dès le lendemain matin. Après les attentats du 13 novembre, 300 militaires ont été immédiatement mobilisés, à l’instar des Tarbais du 1er RHP, par exemple, une trentaine étant partie en suivant pour la capitale le 14 novembre. Les parachutistes ont ensuite été très fortement mobilisés sur l’opération Sentinelle puisqu’en moyenne, l’engagement de la 11e Brigade, s’est situé en permanence entre 1000 et 1600 personnes avec un pic après l’attentat de Nice, le 14 juillet dernier. Actuellement, la moyenne engagée est d’un millier de personnels dont une centaine de réservistes. Concernant la lutte antiterroriste en opérations extérieures, les missions dans la bande sahélo saharienne se sont poursuivies en 2016 à travers les missions du 1er Régiment du train parachutiste de Francazal, pour la livraison par air et l’engagement des commandos parachutistes. Une mission a également été conduite par le 17e RGP de Montauban avec le 3e RPIMa de Carcassonne en Irak.Engagés à Bagdad, des formateurs ont « mentoré » la 6e division irakienne.
Un an après, Gilles Kepel : «Les jihadistes ont dû changer de stratégie»
Gilles Kepel, qu’est ce qui a changé depuis un an ?
D’abord, pour ce qui est de la logique du jihadisme lui-même, il a été obligé de se transformer après le Bataclan. Le Bataclan a été l’événement le plus traumatique de ces dernières années en France, 130 morts en une journée, on n’avait jamais vu ça depuis Oradour-sur-Glane. C’est le pire massacre de civils en France et en même temps, du point de vue politique, c’est un échec pour les jihadistes. Contrairement à ce qui s’est passé avec Merah à Toulouse ou avec l’hyper cacher, il n’y a eu aucun « like » parmi les groupes que les jihadistes veulent mobiliser, essentiellement des jeunes musulmans. Autant on avait vu Merah applaudi parce qu’il avait tué des apostats et des juifs, dans certains milieux sympathisants du radicalisme, des milliers de like sur facebook, autant après Charlie Hebdo il y avait eu tous ceux qui avaient dit « je ne suis pas Charlie », tapé des pieds dans les classes… autant le 13 novembre, parce que c’était la terreur indiscriminée et parce que ça a tué beaucoup et aurait pu tuer encore plus de jeunes issus de l’immigration, il y a eu un rejet très net.. De ce fait les jihadistes ont dû changer de stratégie. C’est la phase « télegram » dont le personnage principal est le Roannais Rachid Kassim qui a considéré que kalachnikovs et explosifs c’était trop compliqué, qu’il fallait utiliser le jihadisme le plus frustre : les couteaux de cuisine, à Magnanville et Saint Etienne-du-Rouvray, et le camion de location à Nice. Pour l’attentat de Nice, parmi les 86 victimes il y a 30 musulmans. Là encore, pour la mobilisation des jeunes, Daech a été obligé de dire que les musulmans qui étaient morts étaient des victimes collatérales qui iraient au paradis parce qu’ils avaient fait avancer la cause du jihad. Mais les familles de ceux qui sont morts n’ont n’en rien à faire et les détestent encore plus. On est dans une phase aujourd’hui, où, en dépit de la dimension spectaculaire des attentats, l’objectif politique se réalise de moins en moins. Ajoutez à cela que les bombardements sur Raqqa et Mossoul rendent de plus en plus difficile la liaison opérationnelle entre les inspirateurs et la France.
La France reste une cible ?
Oui parce que les conditions structurelles n’ont pas changé avec 40% de chômage dans les quartiers populaires et avec une histoire coloniale qui n’a toujours pas été digérée. L’autre facteur c’est cette affaire ahurissante du burkini. Jusqu’au 26 juillet, la France était une victime universelle plainte par la communauté des nations. À partir du mois d’août elle passe du statut de victime à celui de bourreau. Une opération largement fabriquée par le CCIF qui a utilisé l’affaire du burkini pour occulter les attentats.
Comment peut-on passer de l’émotionnel au rationnel ?
C’est d’autant plus compliqué que l’élection de Donald Trump aux États-Unis, qui s’est fait élire, entre autres, en expliquant qu’il allait interdire l’immigration des musulmans en Amérique, une décision qu’il a pris après le massacre du Bataclan...tout ça favorise les candidats les plus populistes. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai écrit ce livre, «La Fracture». Il m’a semblé nécessaire de mettre à la portée de tous un décryptage de ces enjeux. L’enjeu si on veut éviter une « trumpisation » de la France c’est d’avoir une connaissance rationnelle. Quand il y a une pandémie, on investit des milliards dans la recherche et on trouve la thérapie. Le premier enjeu c’est que l’État se concentre sur ses fonctions régaliennes. Sa fonction régalienne principale c’est une refonte en profondeur du système de l’Éducation Nationale, le remettre au cœur du pays sinon on va complètement décrocher. J’attire l’attention de nos politiciens:s’ils sont dans l’évitement ou dans l’hystérie, alors ils vont se retrouver dans la même position que celle des démocrates américains qui ont vu leur électorat traditionnel les lâcher.
Sébastien Dubos
130 victimes...
130 victimes. C’est le lourd bilan de ces attentats du 13-Novembre à Paris. Le plus lourd d’ailleurs de l’histoire des attentats en France. Ce nombre interpelle et rappelle l’horreur engendrée par ces attaques. Mais la répercussion de ces événements va évidemment bien plus loin et se fait sentir encore aujourd’hui. Car qu’advient-il de ceux qui ont vécu le drame et s’en sont sortis ? Un an après, certaines blessures tardent encore à guérir. 20 personnes sont toujours hospitalisées et reçoivent des soins. Plus de 600 personnes ont été traumatisées par cette soirée du 13 novembre et sont encore suivies psychologiquement. En trois attaques seulement, les terroristes ont tué 130 personnes, blessé plusieurs centaines d’autres mais ont surtout réussi à unir la France et le monde dans un front commun contre Daech.
Le mémorial des victimes
Amateurs et passionnés de football, de musique ou tout simplement de moments de partage, les victimes des attentats de Paris resteront longtemps dans nos mémoires. Voici la liste de ces 130 victimes et leurs histoires...
Anne-Laure Arruebo, l’enfant du pays tuée lors des attentats de Paris
Le soir du vendredi 13 novembre 2015, Anne-Laure Arruebo se trouvait rue de Charonne, à la terrasse d’un café parisien. La jeune femme de 36 ans était originaire de Quint-Fonsegrives, où elle a passé sa jeunesse. Inspectrice à la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects, elle était responsable du contrôle des valises diplomatiques. Ses deux sœurs vivaient là elles aussi. Ce soir-là, elle passait un bon moment avec une de ses meilleures amies et collègue, Cécile Coudon Peccadeau de l’Isle. Les deux amies ont été victimes de la folie meurtrière des terroristes qui ont mitraillé en direction des restaurants et terrasses de café. Elles ont laissé des familles dans la peine et la douleur.
À Toulouse, ses proches son anéantis. « Anne-Laure était une personne adorable, elle était la marraine de mon petit-fils. Ce qui s’est passé n’a pas de nom. Nous devions la revoir comme chaque année à Noël. Mon épouse avait acheté son cadeau. La douleur est trop forte pour ses parents qui ne peuvent parler de tout cela… », se souvient son oncle. Selon lui, c’était « une fille intelligente, qui aimait les musées, les arts, la littérature, les concerts. Elle parlait plusieurs langues et affectionnait le latin, le grec, le russe, le chinois… » Une jeune femme qui aimait la vie en somme.
Plus de 500 personnes avaient rendu un dernier hommage à Anne-Laure Arruebo lors de ses obsèques qui se déroulaient en l’église de Quint-Fonsegrives le 24 novembre 2015. Plusieurs personnalités étaient présentes dont le préfet de Région, Pascal Mailhos, mais aussi la directrice générale des Douanes, Hélène Crocquevieille, ainsi que des maires des communes des environs. L’inhumation avait eu lieu au cimetière de Salonique, à Toulouse.
Anne-Laure Arruebo, nouveau nom de la médiathèque municipale de Quint-Fonsegrives
La médiathèque municipale de Quint-Fonsegrives porte désormais le nom de la jeune femme. C’est le maire de la commune Bernard Soléra qui l’a souhaité. Une plaque a été installée en hommage à cette enfant du pays assassinée sauvagement. La municipalité, des personnalités parmi lesquelles Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse et président de l’agglomération, Laurence Arribagé, députée de la circonscription, Brigitte Micouleau, sénatrice, Dominique Satgé, conseillère régionale, Sophie Lamant, conseillère départementale, Alain Chatillon, sénateur ,et plusieurs maires ont entouré la famille d’Anne-Laure dans ce moment fort.
Une brillante élève honorée par le Doyen de la Faculté de Droit de Toulouse
Anne-Laure Arruebo était une brillante élève de la Faculté de Droit. En son honneur, le Doyen de la faculté, le professeur Hugues Kenfack, avait souhaité doter la médiathèque municipale d’ouvrages neufs relatifs à la filière juridique et ainsi d’y proposer un rayon droit. Le professeur a été reçu à la médiathèque le 16 septembre dernier par Bernard Soléra, le maire de Quint-Fonsegrives, entouré de plusieurs élus et des parents d’Anne-Laure. Claudine Arruebo, la maman d’Anne-Laure, était fonctionnaire au rectorat et avait en charge les étudiants des classes de Master. Le Doyen Kenfack avait travaillé avec elle dans le cadre de la gestion de ses élèves. Il a témoigné « l’honneur de la faculté de droit dans la démarche de la municipalité et surtout l’intérêt pour les futures générations, de souligner le parcours d’Anne-Laure et sa mémoire, en baptisant ce lieu de son nom ». Il a également tenu à transmettre les valeurs républicaines et un message de résistance et de paix face à la barbarie terroriste.
Le portrait d’Hugo, Montpelliérain abattu au Bataclan
Hugo fait partie des 89 tués de la salle de concert. Il venait passer le week-end chez son père à Paris et avait débuté son séjour au Bataclan, avec le groupe de rock « Eagles of Death Metal ». Joints à l’époque par Midi Libre, son père et son meilleur ami évoquent un jeune homme bien dans sa vie, passionné de rock et d’informatique.
Bien dans sa peau, bien dans sa vie, comme le disent ses proches, Hugo Sarrade avait 23 ans. « Il avait à peine deux ans quand j’ai écrit ma thèse : il était sur mes genoux. Je lui ai donné le virus de l’informatique. Depuis, il m’avait dépassé. C’est dans la logique des choses qu’un fils dépasse le père. Pas qu’un père enterre son fils », souffle son papa, Stéphane, 50 ans, directeur de recherche au CEA à Saclay, en région parisienne. « Hugo avait une autre passion : je dois le dire, malheureusement, le rock, puisque ça l’a amené au Bataclan. Il parcourait les festivals en France et en Europe. »
Abattu au Bataclan, Hugo fait partie des 130 victimes des attentats de Paris. Le jeune homme était en master en intelligence artificielle à la faculté des sciences de Montpellier. Ses parents sont divorcés. Sa mère, assistante maternelle, vit à Montpellier, ses grands parents maternels à Grabels. « Hugo jouait de la guitare et était passionné de rock », poursuit son père. Il aimait Prodigy.
En master à la faculté des sciences de Montpellier
Vendredi, Hugo prend le train pour passer le week-end chez son père et entame le week-end par ce concert. « Il n’était pas prévu que je le rejoigne ce soir-là car il se faisait un plaisir de revoir son père et son jeune demi-frère qu’il adorait. Mais on devait se voir samedi... » Son ami d’enfance Victor avec qui il fut un temps en colocation et qui habite à « 200m du Bataclan », s’effondre en pleurs. Avant de reprendre : « Avec Hugo, on est des amis d’enfance. Il est arrivé à 6 ans à Montpellier avec ses parents d’Orange », où son père faisait sa thèse.
Le couple Sarrade s’installe à Montpellier en 1988. Ado, c’est collège et lycée Joffre. « On n’est pas natifs de Montpellier maison se sent Montpelliérains », poursuit Victor. « C’est un gars adorable, sans embrouille, à l’écoute des gens, très calme. Il y a quinze jours, on était revenus d’une semaine à Tokyo ensemble, au Japon, un pays qu’il aimait pour ses habitants, polis, attentionnés, cordiaux. Comme lui. Hugo avait une copine, Lise, avec laquelle il avait “une vraie relation”. »
Le père d’Hugo, Stéphane Serrade, complète : « Hugo avait beaucoup d’humour et de tendresse. C’est un garçon sans histoires, extrêmement ouvert sur les autres et les autres cultures ; il aimait les discussions, les débats. Il avait trouvé sa voie. Un équilibre. Lui et moi nous étions très proches », détaille le papa. Avec ce dernier, Hugo avait abordé le jihadisme, le terrorisme. « Il était persuadé que l’obscurantisme est notre pire ennemi. Au-delà du fait que cela maintient les gens dans la pauvreté, ça vous amène à la barbarie. »
Un gars adorable, sans embrouille, à l’écoute des gens
L’attentat de janvier à Charlie et à la supérette casher l’avait beaucoup affecté. Il avait participé à la marche à Montpellier. À cette occasion, « il avait compris que Charlie était jadis le creuset de réflexion de la jeunesse comme le sont les réseaux sociaux aujourd’hui ». Comment aurait-il réagi à ces attentats ? « Il aurait eu beaucoup de tristesse et de compassion. Il m’aurait dit : Comment peut-on en arriver là ? » Et s’agissant des terroristes Français qui y ont participé : « Comment la France a-t-elle pu engendrer cela ? »
Olivier Schlama, Midi Libre
Rescapés, proches des victimes, secours... Ils racontent
François Mognard, un Tarn-et-Garonnais gravement blessé au Bataclan
François Mognard, originaire de Valence-d’Agen dans le Tarn-et-Garonne, fait partie des rescapés qui ont beaucoup souffert après l’attentat du 13 novembre. Ce fan des Eagles of Death Metal assistait au concert ce soir-là lorsque les terroristes ont fait irruption dans la salle de concert. Gravement blessé à l’abdomen et le bassin fracturé par une balle, le jeune homme âgé de 28 ans a passé plusieurs semaines à l’hôpital. Il se remet doucement de sa convalescence mais garde des images terribles du drame. « Dès qu’on en parle, on revit tout ce que l’on a subi, il y a un réel malaise qui s’installe », témoigne-t-il dans une interview donnée à Michel Bony de La Dépêche du Midi. J’ai vécu, comme beaucoup, je pense, l’enfer ». Il a désormais besoin de « fermer la parenthèse », comme il l’a confié à Pauline Maisterra. « Il faut vivre avec, en tirer une force pour en ressortir grandi. (…) Il faut vraiment étudier les causes, comment un ensemble de facteurs a amené ces jeunes à en arriver à se radicaliser et à venir tirer sur une foule qui assistait seulement à un concert ».
Alès : après le Bataclan, Julien tente de se reconstruire
Le jeune Alésien est un survivant des événements du 13 novembre. Sa vie n’est plus tout à fait la même. Midi Libre l’avait rencontré quelques jours après le drame.
Lunettes rondes et raie sur le côté, Julien Pouget, 28 ans, a tout du jeune homme sage. Sa voix est posée, ses phrases réfléchies. Et pourtant ce jeune Cévenol revient de loin. Il a survécu à la soirée tragique du 13 novembre au Bataclan. « Une part de moi est restée là-bas. J’y ai laissé ma naïveté et mon insouciance sans doute », dit-il dans un souffle. Ce soir-là, Julien a tout vu et tout entendu. « J’ai été auditionné immédiatement au 36, quai des Orfèvres car j’avais très bien vu les types et identifié les armes. Mais, paradoxalement, j’ai dû ensuite faire moi-même toutes les démarches pour me faire reconnaître comme victime. »
Mélenchon qui tweete, Hollande qui est dans une posture...
Le soir du concert, Julien est accompagné d’un ami. Lequel reste plus longtemps à l’intérieur, couché, se faisant passer pour mort. Julien fait de même, mais moins longtemps, parvenant à s’enfuir quand les terroristes rechargent leurs armes. « La copine de mon ami a fait des démarches pour lui et m’a guidé. J’avais perdu mes lunettes, on a eu des frais de santé. Puis j’ai compris que si je ne me prenais pas en main, personne ne le ferait pour moi. La cellule interministérielle d’aide aux victimes, je ne l’ai pas vue. Je n’ai vu que la Croix Rouge. »
Julien se rend à la cérémonie des Invalides, sans y être vraiment convié. « J’ai montré une copie d’un dépôt de plainte et on m’a laissé passer. C’était important pour moi, parce que je ressens de la culpabilité de m’en être sorti. Pourquoi moi et pas les autres ? C’était une façon de dire au revoir, j’ai le sentiment d’avoir perdu des frères et des sœurs que je ne connaissais pas. » L’Alésien trouve la cérémonie « sobre et belle » mais en ressort « écœuré par l’attitude des politiques. Mélenchon qui tweete, Hollande qui est dans une posture... Ça m’a déplu. » Bénéficier d’un suivi psychologue ne le tente pas, on l’y pousse quand même. « J’ai accompagné mon ami qui allait plus mal que moi. Mais j’en avais aussi besoin,je sanglotais à tout moment. On m’a arrêté deux jours d’office. Le premier jour, je me suis activé chez moi. Le second, ça a été affreux... »
Dans mon cerveau, des images sont bloquées quelque part
Ce 13 novembre, Julien Pouget avait démissionné de son job. Salarié d’une start-up, il travaille dans le conseil auprès des banques afin qu’elles ne traitent pas avec de l’argent sale, notamment lié au terrorisme... « Nous protégeons nos clients afin qu’ils ne fassent pas de business avec de mauvaises personnes. Pas vraiment de question d’éthique là-dedans... » Les jours qui suivent le 13 novembre, les employeurs de Julien sont compatissants. Ça ne dure pas. « Au bout de dix jours, ils me disent que si je ne suis pas en arrêt maladie, c’est que je peux bosser, alors il faut que j’assure. Plus d’un mois après, je ne suis pourtant pas encore revenu à 100 % de mes capacités. J’ai encore du mal à me concentrer, j’ai des flashs qui me reviennent. J’ai aussi cette drôle de sensation que, dans mon cerveau, des images sont bloquées quelque part. Je n’y ai pas accès, mais c’est là. J’ai la chance de ne pas me souvenir de mes cauchemars. »
Le jeune homme dit ne pas avoir de haine mais une colère contre les politiques. «Qu’on achète du pétrole dans des zones contrôlées par l’État Islamique est aberrant. Il y a un problème dans l’appareil de l’État. Je voudrais agir car il y a, pour moi, un avant et un après. Je ne sais pas encore de quelle manière ». Julien est retourné au spectacle. « Le 13 décembre, juste un mois après. C’était dur, la salle était remplie, il faut savoir gérer... Ma copine m’a énormément aidé. Les premiers jours, elle a déployé une énergie extraordinaire pour me faire rire. Avec elle, je suis retourné au cinéma aussi. Pas facile, mais je ne veux pas rester sur ma peur.Et puis, je suis un fou de musique et j’ai encore tellement de choses à voir ».
Édith Lefranc, Midi Libre
« Vous n’aurez pas ma haine » : le livre bouleversant d’Antoine Leiris
Antoine Leiris a perdu sa femme, Hélène, lors de l’attaque terroriste du Bataclan le 13 novembre. Ce jeune père de famille a ému la France en racontant sa douleur et son deuil après la mort de sa compagne. Dans un post publié sur Facebook intitulé « Vous n’aurez pas ma haine », il explique ne pas vouloir succomber à la rancune et à la colère malgré cet acte incompréhensible.
Le père de Melvil, âgé de 17 mois, a été invité sur le plateau d’« On n’est pas couchés » sur France 2 pour évoquer le drame.
Le héros du Bataclan
Un homme qui a tenu à rester anonyme a sauvé la vie d’une femme enceinte qui était cramponnée à la rambarde d’une fenêtre de la salle de spectacle, à plusieurs mètres au-dessus du sol. La scène où on entend la future mère appeler à l’aide, filmée par David Psenny, journaliste du Monde, avait été largement relayée par les médias. Le jeune homme est le seul à avoir pris le temps d’aider la femme à remonter avant de prendre la fuite. Il raconte à La Provence : « En face de moi, il y avait deux fenêtres. À l’une d’elles, était suspendue une femme enceinte qui suppliait les gens en bas de la réceptionner si elle sautait. En bas aussi c’était le chaos. Je suis passé par l’autre fenêtre et je me suis accroché à une bouche d’aération. À 15 mètres du sol. J’ai tenu cinq minutes puis la femme enceinte, qui n’en pouvait plus, m’a demandé de l’aider à revenir à l’intérieur ».
« Paris je t’aime » : la vidéo d’Amaury Baudoin
Amaury Baudouin a souhaité raconter la tuerie du Bataclan dans une vidéo de vœux adressée à la France. Dans « Paris je t’aime », posté sur Youtube, il témoigne de sa lente reconstruction après le drame et des rencontres qui lui ont permis de guérir. « J’ai l’impression que face à l’adversité, on s’est tous rapprochés, alors vive l’amour et vive la France », conclut-il avec sagesse.
Les pompiers de Paris racontent la terrible nuit du 13 novembre et les appels de détresse
Préparés et formés aux situations catastrophiques, le vendredi 13 novembre restera pour les pompiers du 18, « indescriptible ».Trois longues heures à expliquer comment sauver des vies aux otages du Bataclan, gravées à jamais dans la mémoire du caporal-chef Jérôme.
21h45. « Descends vite ! » : le top est donné pour le caporal-chef, pompier depuis onze ans, qui vient rejoindre la”salle 18”, où les appels sont reçus.
A son arrivée, c’est la stupeur : « Ça commence à monter en puissance, j’entends des gens qui nous appellent depuis des bars de Paris... puis du Bataclan », se souvient le chef de table, qui gère plusieurs « opérateurs » répondant directement aux victimes ou aux familles.
Ce vendredi 13, deux explosions surviennent aux abords du Stade de France, et quelques minutes plus tard, des hommes armés mitraillent terrasses de cafés et restaurants tandis qu’une troisième équipe s’engouffre au Bataclan. Dans la salle de concert, 1 500 personnes assistent au concert du groupe rock Eagles of Death Metal. C’est là que les jihadistes feront le plus de victimes entre 21h40 et 0h18, heure de l’assaut des forces de l’ordre.
« Le seul fil »
Le caporal-chef Jérôme en reste marqué : « On est les premiers à entrer en contact avec les otages du Bataclan, à prendre de plein fouet leur stress et à essayer de les calmer ». « Ils nous appellent pour nous dire : “J’ai plein de cadavres devant moi” ou encore”Je suis blessé, je me trouve dans telle ou telle salle, est-ce que vous êtes au courant ? “ ».
Pour celles et ceux qui n’ont pas réussi à fuir, les pompiers seront pendant trois heures « le seul fil qui les lie à l’extérieur ».
La pression et le stress sont à leur comble dans la “salle 18”. Les pompiers enchaînent les appels le plus vite possible alors que 30 à 40 personnes sont en attente sur le standard pendant trois quarts d’heure. Isolés dans leur salle sans fenêtre, au bout du fil, ils entendent « les cris de douleur, de peur, des gens qui (les) suppliaient de venir vite ».
Jérôme, 31 ans, comprend la peine qu’éprouvent ses hommes. « Lorsque je vois le regard des opérateurs, que je les vois me chercher, en quête d’un soutien, je comprends que c’est grave, très grave », raconte-t-il, encore ému.
Dans les yeux, le responsable voit « de l’étonnement, des hommes perturbés », qui soufflent, demandent parfois de l’aide, s’agitent, cherchant un appui contre le dossier de leur chaise.
Mais il faut aller vite. Répondre. Rassurer. « On guide les victimes ou ceux qui les accompagnent, on leur dit de se déshabiller, prendre un tee-shirt et l’utiliser pour faire un point de compression sur les plaies... De la médecine de guerre », dit-il.
« Combien de morts ? »
« Quand on décroche, on ne sait jamais sur quel genre de coup de fil on va tomber », explique-t-il. Qu’importe. Les informations sont précieuses et il faut également récolter le maximum de données sur les victimes : « Combien sont-ils sur les toits ? Dans les loges ? Cachés sous les corps ? »...
Le caporal-chef s’engage alors dans une course effrénée entre la salle 18 et la cellule médicale, située un peu plus loin. Là, un grand tableau blanc avec inscrit “site 1, site 2, site 3, site 4”, en dessous, le nombre de blessés et de morts.
« Les appels nous permettaient d’avoir une idée chiffrée. Plus les minutes passaient, plus je voyais le nombre de morts au Bataclan augmenter, augmenter, augmenter... ». Le caporal-chef s’interrompt. « Les gens à l’intérieur morflaient », et les appels de détresse se poursuivaient. Consigne est donnée, répétée et martelée aux opérateurs : il faut « rassurer les blessés ».
Alors quand sa hiérarchie lui dit qu’un assaut va être donné dans la salle de concert peu avant minuit, le caporal-chef est « tellement content » qu’il le dit à ses hommes. « Tenez bon les gars, la BRI (Brigade de recherche et d’intervention, Ndlr) et le Raid vont intervenir », leur lance-t-il. Un pompier ose alors poser la question tant redoutée : « Jérôme,on a combien de morts ? ». « 80 morts... », lui répond-il. L’opérateur souffle, et répète inlassablement le nombre macabre. Le bilan s’établira à 90 morts.
Au Bataclan, c’était « l’enfer de Dante », selon un policier de la BRI
« C’était l’enfer de Dante », c’est en ces termes qu’un policier de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) raconte l’assaut au Bataclan vendredi soir, après une prise d’otages sanglante.
« A 21h40, nous avons eu les premiers coups de téléphone, nous disant qu’il y avait des explosions au Stade de France puis des coups de feu au centre de Paris », explique ce policier, sous couvert d’anonymat. A 22 heures, une première équipe quitte le « 36 », siège mythique de la police judiciaire parisienne au Quai des Orfèvres, « avec un peu de matériel ». « Nous étions dans le hall du Bataclan à 22h15 ».
Un commissaire de la brigade anti criminalité (BAC) de Paris qui s’était rendu sur place avec son chauffeur avait abattu un jihadiste au rez-de-chaussée de l’établissement. « Quand on arrive, on n’entend aucun tir. On se demande si les terroristes sont partis par l’arrière », raconte le policier, qui faisait partie de la « première colonne » entrant dans la salle de spectacle. « On a vu des morts sur le trottoir, puis dans le hall d’accueil. Dans ce qu’on appelle la fosse, il y avait plusieurs centaines de personnes couchées les unes sur les autres, appelant au secours,un mélange de gens morts, de gens blessés », a indiqué de son côté Denis Safran, médecin de la BRI, qui était dans la colonne. « Je n’ai jamais vu ça », confirme le policier. « Une marée humaine, l’enfer de Dante, du sang partout, on marche sur des corps, on glisse sur du sang », se souvient-il.
« Des otages partout »
« Chaque fois qu’on ouvre une porte on trouve des otages. Il faut vérifier que ce sont bien des otages », raconte-t-il.« Ça a été un travail de nettoyage très rapide de la BRI, s’assurer qu’il n’y avait plus de tireurs et pas d’explosifs au rez-de-chaussée », souligne le médecin. La première colonne continue de progresser vers l’étage. La deuxième se positionne en renfort. Le RAID assure un soutien à l’extérieur et au rez-de-chaussée. « A chaque pas nous trouvons des otages partout, dans des faux plafonds, sous les canapés... et chaque fois il faut vérifier qu’ils ne sont pas armés et n’ont pas de bombe », explique encore le policier de la BRI.
A 23h15, « nous sommes devant une porte derrière laquelle un terroriste hurle. Ils sont deux, avec une ceinture d’explosifs qu’ils menacent d’enclencher. Ils veulent qu’on recule, menacent de décapiter des otages, parlent de la Syrie », poursuit-il. Un négociateur discute par téléphone avec eux en vain. A 00h18, le « top assaut est donné ».« On passe la porte et on se retrouve dans un couloir d’une quinzaine de mètres ». Entre les policiers et les jihadistes qui engagent le feu, se trouvent des otages. « Ils se couchent, ils se sont fait tout petits, on ne sait même pas comment. On avançait sous le feu des terroristes sans tirer tant qu’il y avait des otages, on était derrière le bouclier », explique-t-il. Pris en photo par l’AFP, le bouclier comptait une vingtaine d’impacts de balles après l’assaut.
« On fait une chenille humaine pour faire passer les otages derrière nous, les gars derrière, le bouclier encaissant les tirs de kalachnikov », décrit-il. « Et puis il n’y a plus d’otages entre eux et nous, le top du deuxième assaut est donné ». Un policier est blessé par un ricochet de balle. « Une marche, le bouclier tombe, on voit une ombre, on tire, on voit l’ombre s’affaisser et ça explose. On ne sait pas comment, mais le résultat est que les deux jihadistes explosent », selon lui.
Il faudra une heure pour sécuriser les lieux. « Ils se sont fait sauter devant une porte derrière laquelle il y avait une quinzaine d’otages qui ne voulaient pas croire que nous étions la police. Ils ont appelé le 17 pour être rassurés, ce qui est normal ». Les hommes de la première colonne sont ceux qui avaient donné l’assaut lors de la prise d’otages à l’Hyper Cacher en janvier.
Un hommage à travers le monde
2015 : une année noire pour la France. A peine relevée des attentats de Charlie hebdo, la France était de nouveau frappée par l’horreur. Le 13 novembre, le monde entier découvrait que quelques individus pouvaient plonger tout un pays dans un véritable cauchemar dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui, un an après. L’attaque du Bataclan et dans les rues de Paris ont touché tous les pays du monde. On venait de passer un cap dans la violence, dans la barbarie. La mobilisation qui s’en est suivie a été immédiate, globale et inédite. Journaux, personnalités, politiques ou simples citoyens, tous se sont retrouvés autour de valeurs communes : liberté, égalité, fraternité, les valeurs de la France. Du drapeau français. Des valeurs qui venaient d’être foulées par la barbarie et qui furent, en retour, mises en avant avec force, dans une grande unité nationale. Partout dans le monde, on a vu un peuple uni pour dénoncer l’horreur du terrorisme, uni dans l’adversité, uni pour soutenir les familles des victimes et les autorités.
Premiers à réagir : les médias
La presse écrite se doit de décrire, dès le lendemain, les scènes de carnage qui ont eu lieu en plein Paris. C’est d’ailleurs le titre de Libération. « Carnage » aussi pour La Dépêche du Midi. Le Figaro parle de « guerre »,tout comme Le Parisien. Un mot très fort qui renvoie l’inconscient collectif des dizaines d’années en arrière. La France est attaquée dans sa représentation la plus symbolique, la culture, et dans sa ville la plus symbolique, Paris. C’est aussi ce sur quoi insistent les journaux de presse quotidienne régionale, la Voix du Nord, les Dernières Nouvelles d’Alsace ou encore Presse Océan.
Ce sont d’ailleurs aussi les Unes des journaux internationaux en Europe. La Vanguardia titre « Nuit de terreur à Paris ». « La terreur frappe Paris » pour The Herald Sun et des journaux turcs. La presse, unie dans la douleur et la stupéfaction, se mobilise, unanime. Même L’Équipe,quotidien sportif qui ne prend traditionnellement pas parti pour l’actualité,signe sa Une d’un « L’Horreur » blanc sur fond noir. Une exception pour le quotidien sportif qui s’était déjà engagé au lendemain des attentats de Charlie Hebdo en titrant« Liberté 0 Barbarie 12 ». Le message est partout le même : il n’y a pas de mots assez forts pour décrire ce qui s’est passé.
L’unité des Français a finalement trouvé son expression à travers le symbole le plus rassembleur de la Nation : son drapeau. Le bleu, blanc, rouge est subitement devenu le symbole d’unité d’une population qui se retrouvait dans la douleur. C’est également par le drapeau que tous les autres pays du monde ont pu apporter leur soutien à la France, touchée au cœur. Les façades des bâtiments les plus célèbres se sont illuminées aux couleurs du drapeau français : l’Opéra de Sydney, le Corcovado, la porte de Brandebourg, la Tour Eiffel, bien évidemment, et de nombreux autres bâtiments à travers le monde, dans un hommage vibrant à l’Hexagone et à ses victimes. A leurs pieds, des fleurs, des messages, des bougies, apportés par les ressortissants français en témoignages de leur solidarité, mais aussi par les habitants des pays étrangers, conscients que si Paris pouvait être touchée, personne n’était à l’abri. De nombreux rassemblements silencieux ont également fleuri, dans lesquels la Marseillaise est toujours reprise, hymne de cette conscience française retrouvée. En région aussi, on s’est mobilisé pour Paris. Les villes, plus ou moins grandes, ont organisé leurs veillées. A Metz, Strasbourg, Marseille, Toulouse, Bordeaux ou encore Besançon ou Brest, des bâtiments sont illuminés de bleu, blanc et rouge et la population s’est rassemblée pour un instant de communion.
Ces couleurs, on a pu les retrouver jusque sur les réseaux sociaux. Une mobilisation inédite qui a même touché le plus impalpable : internet. Sur des sites traditionnellement dédiés aux liens sociaux, intimes ou professionnels, chacun a voulu montrer sa solidarité avec son pays. On a alors trouvé des photos de profils exprimant la solidarité des internautes. Et comme pour les attentats de Charlie Hebdo, de nombreux symboles ont fleuri pour appeler à l’unité. Le symbole de la paix du mouvement hippie est détourné avec la Tour Eiffel en son centre pour demander la paix. Les Mariannes ont pleuré les victimes de la barbarie. Et les caricaturistes ont tenté de dire avec des images ce que personne ne pouvait dire avec les mots.
Quelques slogans : Peace for Paris (paix pour Paris), Pray for Paris sont également devenus les hashtags les plus répandus sur internet. En une dizaine d’heures, le hashtag #prayforparis a été utilisé près de 7 millions de fois. Devenu ensuite « Je suis Paris », en référence au désormais célèbre « Je suis Charlie », il est même porté par les joueurs du Paris Saint Germain lors d’un match, le 25 novembre contre Malmö.
En réaction aux attaques des terroristes et pour affirmer leur volonté de ne pas céder à la peur, de nombreux groupes naîtront ensuite dont « Tous en terrasse ». Un mouvement qui appelait tous ceux qui le souhaitaient à aller boire un verre en terrasse des restaurants et ainsi répondre par la culture du bien vivre à la française à l’obscurantisme du terrorisme.
Toulouse et Montpellier mobilisées
10 000 Toulousains ont marché contre la barbarie
Ils étaient 10 000 selon la préfecture, 15 000 d’après les organisateurs, à répondre à l’appel de la Ligue des droits de l’Homme, de plusieurs syndicats dont la CGT, très représentée, et d’une trentaine de collectifs, quelques jours après les attentats de Paris. Le cortège était clairsemé au départ de la place Jeanne d’Arc à 14 h 30, laissant craindre très peu de participation. Mais petit à petit des centaines de Toulousains ont fini par rejoindre les boulevards. Bien moins nombreux qu’en janvier où plus de 120 000 personnes avaient déferlé dans Toulouse, unis dans l’esprit Charlie. Visiblement le froid, le vent ou la crainte en ont découragé plus d’un. La marche était organisée « pour les libertés et la paix, contre la barbarie et les amalgames ». C’est ce qu’annonçait la banderole qui ouvrait le cortège, tenue par des jeunes.
Avant le départ, Jean-François Mignard, secrétaire national de la Ligue des droits de l’Homme, a pris la parole au micro pour témoigner du soutien et de la solidarité des Toulousains. Mais son discours, orienté contre les décisions sécuritaires du gouvernement et le contrôle des libertés, a eu pour effet de déstabiliser nombre de Toulousains, qui ne se reconnaissaient pas forcément dans ces accents contestataires. « Cette marche est instrumentalisée, trop politisée. Des gens distribuent des tracts. Ce n’est pas la marche blanche que j’attendais » commente Antoine, un garçon d’une vingtaine d’années, se faisant l’écho de beaucoup de réflexions entendues tout au long du parcours jusqu’à Saint-Cyprien.
D’autres faisaient la comparaison avec le rassemblement de mardi soir au Capitole où l’émotion était beaucoup plus intense. On a vu des citoyens repartir chez eux, déçus. Cette marche silencieuse a quand même réussi à regrouper, dans le calme et sans incidents, des élus de tous bords, des représentants des différentes communautés religieuses, et nombre de Toulousains de toutes générations qui fermaient la marche, loin derrière les banderoles.
«Vous êtes nos amours, on ne vous oublie pas» : les milliers de petits papiers des Toulousains
Solidarité, défense de nos valeurs républicaines, appel à l’amour et à la vie… Les Toulousains ont déposé après les attentats, au pied du Capitole, des milliers de témoignages éphémères. « J’ai deux amours : mon pays et Paris. Petit pays, je t’aime beaucoup. » Tracés d’une fine écriture sur un carré de papier blanc au pied de l’imposante façade du Capitole, de simples phrases qui pèsent. Et émeuvent. Dès le lendemain des attentats de Paris, une mer de petits papiers et d’objets hétéroclites a recouvert progressivement des dizaines de mètres sur le Capitole.
Comme après Charlie, des milliers d’anonymes sont venus exprimer leur solidarité. Presque effacé par les intempéries du week-end, ce grand livre à ciel ouvert s’est enrichi chaque jour de témoignages. Des centaines de Toulousains de tous âges ont stoppé leur course pour une lecture silencieuse, attentive, semblable à un moment de recueillement devant l’énorme mausolée improvisé.
«À mon amie…»
« Toulouse est Paris ». La Ville rose fait d’abord parler son cœur : « Si triste pour ces gens morts pour rien, si triste pour leurs familles et leurs proches… » Une pensée pour assurer : « Vous êtes nos amours. On ne vous oubliera pas ». Parmi ces déclarations figurent les témoignages de ceux qui connaissaient de près ou de loin des victimes. Dans une cagette en bois, trois photos montrent un jeune homme à vélo, en débardeur et casquette. Avec « RideForMat » en seul commentaire. Non loin, une phrase : « Hommage au cousin de mon pote mort au Bataclan ». Ou encore : « A mon amie, notre professeur…» La photo d’un homme à la terrasse d’un café est fixée au mur. Ludovic Boumbas est « décédé après avoir sauvé une vie ». « Les victimes ont des noms, les victimes ont des visages », est-il écrit près d’une page de journal. La barbarie provoque l’indignation. « Ce qui empêche les gens de vivre ensemble, c’est leur connerie, pas leurs différences !! » « Hachad le Tunisien » accuse « la religion, toutes les religions ». L’un se fait plus direct : « Fils de satan, la France t’emmerde », quand l’autre veut la guerre : « Il ne s’agit pas de contenir mais de détruire Daech ». Liberté, égalité, fraternité. Ces écrits affirment aussi la prééminence des valeurs républicaines. « Il faut vivre librement car c’est cette liberté qu’on veut nous enlever », proclament des collégiens des Chalets. « Restes (sic) debout belle France. Liberté, égalité, fraternité. » Le vers d’Eluard refleurit sous une plume féminine : « Je suis née pour te connaître, pour te nommer, Liberté. » Au triptyque républicain, s’ajoute l’amour, invoqué mille fois. « Aimons-nous », s’exclame-t-on à la peinture rouge. « Je crois en l’humanité. » Et l’appel à la vie : « Longue vie à la vie ». Au milieu de ces incantations apparaît un mystérieux : « un jour je n’aurai plus peur ». Sabrina et Sabah demandent qu’il n’y ait « pas d’amalgame » car « l’islam prône la paix. » Sur un bout de papier, un homme se présente : « Bonjour, je suis un musulman et je suis très triste de ces victimes. Et les coupables ne sont pas des musulmans. Ce sont des terroristes. » Comment lutter ? « Contre la bêtise, la barbarie, l’obscurantisme opposons la culture, le respect, la tolérance ». Des galets alignés portent chacun une valeur : « démocratie,culture, beauté, amour »… Car « La France, (c’est) les saveurs de la vie. Daech, le goût de la mort ». Par conséquent, affirme Nina : « Je profiterai de la vie ». « Buvons, fumons, fêtons car demain nous… », affirme un papier déchiré. C’est sans doute comme cela qu’il faut entendre cet appel : « aimons-nous vivants ». Une vie à laquelle les victimes sont associées : « On vivra pour vous ».
Jean-Noël Gros
Une grande marche républicaine pour la paix et la démocratie et contre la haine s’est déroulée le 22 novembre 2015 à Montpellier.
A l’appel de la LGP (Lesbian & Gay pride) et du club de la presse Languedoc-Roussillon, avec le soutien de la Ligue des Droits de l’Homme, une marche en hommage aux victimes des attentats s’est déroulée le dimanche 22 novembre 2015 à Montpellier.
Elus et représentants religieux en tête
Vers 15h30, environ 3 000 personnes étaient comptabilisées. En tête de cortège, se trouvaient les représentants religieux (musulmans, juifs et catholiques), ainsi que des personnalités politiques,comme Philippe Saurel, Carole Delga et Damien Alary, ou encore des députés. Ils tenaient une banderole sur laquelle était inscrite : « Nous sommes tous unis, hommage aux victimes, soutien aux familles, aux forces de l’ordre et aux services de sécurité ».
Parti de la place du Nombre d’Or, le cortège silencieux a rallié les jardins du Peyrou, où une minute de silence, le chant de la Marseillaise et une minute d’applaudissement ont été observés. Chacun était invité à venir sans bandeaux, banderoles ni slogans mais avec une rose blanche.
Le 27 novembre, la ville s’est cette fois parée du drapeau tricolore, répondant ainsi à l’appel du gouvernement. Plusieurs établissements et de nombreux anonymes avaient ainsi pavoisé leurs devantures ou balcons aux couleurs de la France.
Quand la solidarité s'organise sur les réseaux sociaux
Passé l’effroi d’une nouvelle attaque terroriste en France,une chaîne de solidarité s’est créée très rapidement sur les réseaux sociaux.
Sur Facebook, tout d’abord, les personnes présentes au Stade de France, au Bataclan ou aux terrasses des cafés visés par les attaques ont pu prévenir leurs familles et proches qu’ils étaient en sécurité, grâce à l’outil « Je suis en sécurité ». Jusque-là réservé aux catastrophes naturelles, l’outil a été activé par Facebook à tous ses utilisateurs en région parisienne. Une décision, qui n’a pas été sans critique, notamment au Liban, où, la veille, deux attaques ont frappé la capitale, Beyrouth, faisant 41 morts et plus de 200 blessés. Ce jour-là, le réseau social n’avait pas activé son « safety check »…
A peine 24 heures après ces attaques, Facebook a également permis à ses utilisateurs d’apposer sur leur photo de profil un drapeau bleu, blanc, rouge.
Sur Twitter, le hashtag « portesouvertes », créé par un internaute, qui a souhaité rester anonyme, a permis aux rescapés et aux blessés légers de se mettre à l’abri chez l’habitant. Plus de 20 000 personnes ont répondu à l’appel et ont ouvert leurs portes, dans un grand mouvement de solidarité.
Par ailleurs, quelques jours après les attentats, les Français ont été nombreux à donner leur sang pour les victimes. Ils l’ont également fait savoir sur les réseaux sociaux, notamment Twitter, avec le hastag #dondusang.

Il a perdu sa cousine au Bataclan : un Toulousain écrit directement à Daech
« Oui, je suis un pervers et un idolâtre ». Simon Casteran, journaliste toulousain, a perdu sa cousine, Madeleine, vendredi soir, morte au Bataclan à Paris. Professeur de français, elle était âgée de 30 ans. Sur son blog personnel, lessermonsdulundi.com, il adresse à Daech une lettre forte, intelligente et inspirée de la soif de vie de sa cousine.
Comment avez-vous appris la mort de votre cousine ?
Samedi matin, vers 8 heures, j’ai été appelé par ma mère. Ça a été un tel choc que ça m’a paru irréel. J’ai été complètement sonné. Je pensais que je me mettrais à pleurer, mais rien n’est venu.
Qu’avez-vous fait de votre journée ?
Je suis resté hagard. Je suis sorti dans Toulouse mais tous les bruits m’agressaient. Je suis rentré et j’ai passé la journée chez moi, sous la couette à regarder des chaînes d’info en continu.
Vous avez trouvé la force d’écrire cette lettre…
Quand j’ai vu sur internet le communiqué de Daech qui ajoutait de l’injure à la blessure, c’était plus fort que moi. Ils ont massacré nos proches et en plus ils les insultent ! J’avais besoin de leur rentrer dans le lard. J’étais devant mon écran d’ordinateur et j’ai commencé à écrire, juste pour moi et c’est venu tout seul. J’ai pris la liberté de la poster, de manière un peu naïve, sur mon blog qui a peu d’audience en général. Je ne pensais pas que ça aurait un tel impact.
Qui était Madeleine ?
Une personne naturellement lumineuse, qui respirait la bonté et se souciait des autres. Tous les gens qui l’ont connue, notamment en tant que prof, l’aimaient. Elle était au Bataclan avec son copain qui a été blessé en essayant de la protéger.
Que vous inspirent les réactions de vos lecteurs ?
C’est un soutien inestimable. Je leur suis reconnaissant pour tous leurs messages.
Claire Lagadic, La Dépêche du Midi
Lettre intégrale de Simon Casteran :
Mon cher Daech,
J’ai bien lu ton communiqué de presse victorieux. Comme on l’imagine, tu dois être heureux du succès de tes attaques menées vendredi soir à Paris. Massacrer des civils innocents qui ne demandaient qu’à jouir d’un bon match de foot, d’un concert de métal ou tout simplement d’un petit restau entre potes, ça défoule, pas vrai ? Alors certes, ça ne te change pas beaucoup des milliers d’exactions commises quotidiennement, depuis des années, en Irak et en Syrie. Mais en bonne multinationale des lâches et des peine-à-jouir que tu es, il te fallait t’imposer sur le marché occidental. Ce que tu as fait, dès janvier, avec l’attentat de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. Toutes mes félicitations : grâce à tes happenings sordides et sanglants, la marque Daech est plus forte que jamais. Elle a même effacé jusqu’au souvenir d’Al-Qaeda qui, à côté de toi, semble désormais presque raisonnable.
Donc, tu as tué. Oh bien sûr, pas par goût du sang et de la violence, mais au nom «d’Allah le Très Miséricordieux». Moi qui croyais que la«miséricorde» suppose la bonté et l’indulgence envers les autres, je ferais mieux de jeter mon dictionnaire. Et de m’acheter une Kalachnikov et des grenades, pour m’en aller distribuer à mon tour amour et compassion partout où vous vous trouvez. Avant de laisser, sur vos corps enfin bénis, la photo de ma cousine Madeleine, que votre miséricorde a lâchement assassinée vendredi au Bataclan. L’eussiez-vous connue, que vous l’auriez détestée immédiatement. C’était une femme libre et heureuse, pleine de cette lumière intérieure qui vous manque tant. Horreur suprême, c’était aussi une intellectuelle, qui aimait son métier de prof de lettres en collège. Car oui,chez nous, les femmes ont non seulement le droit d’être éduquées, mais aussi d’enseigner. Tout comme elles ont le droit d’aller où bon leur semble, d’écouter de la musique, de boire de l’alcool et d’aimer qui elles veulent. Sans burqa, ni violence. Bref, de jouir de cette liberté qui vous fait tant horreur. Et dont Paris, «la capitale des abominations et de la perversion», dis-tu, s’est fait depuis longtemps la représentante.
Oui, chers sœurs et frères, n’en doutons pas : l’abomination et la perversion n’est pas à chercher dans le massacre d’innocents par des fanatiques surarmés, qui travestissent le Coran en un manuel du parfait petit terroriste, mais dans cette vie païenne, faite de plaisirs et de joie. Cette «fête de la perversité» qui réunit, de semaine en semaine, des milliers«d’idolâtres» ; lesquels, au lieu d’adorer la Mort comme vous le faites en«(divorçant) de la vie d’ici-bas», préfèrent se rassembler pour communier ensemble, dans un instant de partage et d’adoration de l’existence.
À ce titre, mon petit, ridicule, mesquin Daech, je te dois un aveu : moi aussi, je suis un pervers et un idolâtre. J’aime la vie, le métal, les restaus et, parfois même, regarder un match de foot. Mea culpa, mea maxima culpa. Je suis un Croisé, comme tu dis. Un Croisé de la liberté, de l’amour et de la convivialité ; à la différence, cependant, que contrairement à toi, j’ai évolué depuis le Moyen Âge. Ma religion n’est pas faite de fer et de sang, comme la tienne, mais de chair et d’espoir. Aussi, si tu veux un bon conseil, mon cher Daech, dépêche-toi : car l’Histoire est sur tes talons, et déjà les Lumières que tu veux éteindre menacent ton califat d’un autre âge.
«Allah est le plus grand», écris-tu. «Or c’est à Allah qu’est la puissance ainsi qu’à Son messager et aux croyants. Mais les hypocrites ne le savent pas» (sourate 63, verset 8). Sur ce point, je ne peux que te donner raison. Qu’on l’appelle Dieu, Yahvé ou Allah, le Tout-puissant n’a guère besoin que l’on tue en son nom, ni que l’on pervertisse Ses lois. Alors, pourquoi continuer à tuer ? Ton Seigneur est-il si faible, dans ton esprit, qu’il ne puisse agir de lui-même ? Je ne peux le croire. Ce que je crois, en revanche, c’est que tu t’arranges bien de Son silence. Qu’en tuant au nom de ce même islam et des musulmans que tu prétends défendre, tout en les assassinant, c’est la Création divine que tu détruis. Ce qui fait de toi un impie, un pécheur, encore plus coupable que le croyant que tu exècres, ou les païens que nous sommes. Mais cela, les hypocrites ne le savent pas.
Simon Casteran
Novembre 2016 : un an après...
La France a musclé sa riposte
État d’urgence, lois antiterroristes : après les attentats du 13-Novembre, la France a musclé comme jamais son arsenal juridique et policier face une menace inédite et protéiforme, mais l’efficacité du dispositif,parfois contesté comme liberticide, reste difficile à évaluer.
Déjà engagé après les attaques de janvier 2015, le renforcement concerne chaque étape de la chaîne sécuritaire et pénale, avec de nouveaux outils d’investigation et de répression, une surveillance des sites sensibles et des peines aggravées.
Si cela n’a pas empêché de nouveaux attentats, et notamment l’attaque au camion qui a fait 86 morts le 14 juillet à Nice, d’autres ont pu être évités, près de vingt attentats et projets en 2016, selon une source proche du dossier.
« Dans la guerre contre le terrorisme, notre arsenal pénal est complet », a estimé début octobre François Hollande en réponse à ceux qui, à droite, réclament un nouveau tour de vis, avec des centres de rétention pour les fichés S (pour « sûreté de l’État »), un parquet national antiterroriste ou l’incarcération systématique des personnes poursuivies pour terrorisme.
La France n’a cessé depuis le 9 septembre 1986 de renforcer ses lois antiterroristes mais les attentats du 13-Novembre et la multiplication des candidats au jihad en Irak ou en Syrie ont conduit l’État à changer de braquet.
4000 perquisitions et 89 personnes assignées à résidence
Pour la première fois depuis la guerre d’Algérie, l’état d’urgence, régime d’exception qui permet à l’autorité administrative (préfet,police) de prendre des mesures restreignant les libertés sans passer par l’autorité judiciaire, a été promulgué sur l’ensemble du territoire français.Il est toujours en vigueur, un an après.
A ce jour, plus de 4 000 perquisitions ont été réalisées dans ce cadre et 89 personnes sont encore assignées à résidence, selon le ministère de l’Intérieur. Mais l’efficacité du dispositif a été relativisé parla commission d’enquête parlementaire sur les attentats qui l’a jugé”utile mais limitée” et s’amenuisant avec le temps. Certaines associations et des magistrats dénoncent même un recul des libertés et de l’Etat de droit.
Déferlante des dossiers terroristes
D’autres textes ont renforcé le dispositif antiterroriste dont la loi du 3 juin, présentée comme un « relais » de l’état d’urgence. François Hollande a en revanche dû abandonner, faute de majorité,son projet très controversé d’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux « nés Français » et condamnés pour terrorisme.
Parmi les nouvelles mesures, les policiers sont désormais autorisés à perquisitionner de nuit les domiciles de suspects en cas de risque d’atteinte à la vie. Ils peuvent fouiller des bagages, retenir un individu durant quatre heures avant toute garde à vue pour examiner sa situation ou encore recourir à de nouveaux outils d’interception de communications. Ils peuvent aussi conserver leurs armes hors service et bénéficient d’un nouveau régime d’irresponsabilité pénale s’ils en font usage dans le cadre d’une action terroriste.
Au plan judiciaire, les pouvoirs et moyens du parquet antiterroriste ont été renforcés et la répression des infractions terroristes aggravée.
Ainsi, les peines encourues dans certains dossiers d’association de malfaiteurs à visée terroriste, considérés non plus comme des délits mais comme des crimes, sont passées de dix à 30 ans. Les cours d’assises pourront prononcer une perpétuité « incompressible” contre les auteurs de crimes terroristes en portant la période de sûreté jusqu’à 30 ans (contre 22 actuellement).
Une explosion des dossiers
En prison, le gouvernement a changé de cap, optant pour l’isolement et la dispersion des détenus radicalisés après l’expérience avortée de leurs regroupements dans des unités dédiées.
Depuis début 2016, quelque 360 personnes ont été interpellées dans des enquêtes antiterroristes et plus de 350 procédures judiciaires (concernant près de 1400 personnes) sont en cours. La progression est exponentielle: on comptait 26 dossiers en 2013 et 136 en 2015.
Face à cette déferlante, des magistrats ont déjà tiré la sonnette d’alarme redoutant à terme un engorgement des audiences sans un renforcement des moyens.
Rien qu’en 2017, le nombre de procès pour terrorisme aux assises va doubler, à sept ou huit par an. Et, s’il n’est pas encore programmé,le procès pharaonique des attentats du 13-Novembre devrait battre tous les records avec plus de 1400 parties civiles déclarées.
«Rien n’a changé mais tout a changé» : retour sur les terrasses
Même agitation derrière le bar, mêmes rires en terrasse. Dans les cafés et restaurants visés par les attentats du 13-Novembre, l’activité a repris. Mais personne n’a oublié.
Les trois jihadistes du « commando des terrasses » avaient visé six établissements des Xe et XIe arrondissements de Paris, qui ont tous rouvert après une fermeture plus ou moins longue : Le Carillon, Le Petit Cambodge, A la bonne bière, Casa Nostra, La Belle Équipe et le Comptoir Voltaire. Des attaques qui avaient fait 39 morts.
Début de matinée à La Belle Équipe. Assises dans la salle, trois jeunes femmes plaisantent. Ce café du mercredi matin, c’est devenu «un rituel ». Pourtant, Samira, 37 ans, n’était jamais entrée ici avant les attentats. Aujourd’hui, elle s’est appropriée les lieux.
« La première fois, tout avait été refait, je voulais voir, c’était de la curiosité, et aussi une forme d’hommage. Maintenant, je me suis attachée à cet endroit. En plus, la serveuse est adorable ! » sourit-elle.
Son amie Sara se souvient avoir été « émue » lors de la réouverture. Elle qui habite à quelques rues reconnaît qu’il y a « des gens dans le quartier qui ont du mal à revenir ». Elle-même évite d’amener ses enfants. Mais se réjouit de l’affluence retrouvée : « Le soir et le weekend, c’est toujours blindé. »
A l’extérieur, Anne-Marie s’est installée en terrasse. Ça fait « cinq ou six fois » qu’elle vient, elle « apprécie l’atmosphère en journée ». Surtout, elle ressent « beaucoup de compassion, un peu d’admiration même » pour l’équipe, « pour leur niaque, pour le fait qu’ils continuent ».
Derrière le comptoir justement, le barman s’active. S’il discute facilement tandis que ses mains continuent de travailler, à l’évocation des attentats, la conversation s’interrompt. Il fait non de la tête, puis tourne le dos en silence et reprend son activité.
«Tourner la page»
Même réticence au Comptoir Voltaire. Une serveuse dit vouloir « tourner la page » : « Je n’ai jamais pris un seul weekend depuis que je travaille ici. Le premier que je vais prendre, c’est le 13 novembre prochain ! » Son patron a prévu de fermer pour l’anniversaire : « La meilleure façon d’oublier les choses, c’est de ne plus en parler. »
Dans un autre bar de ce quartier « bobo » de la capitale, Pascal vient trois à quatre fois par semaine, en voisin, à la Bonne Bière. « Je n’ai pas changé mes habitudes », avance-t-il avec satisfaction.
« Ravagé » par les attentats, il a guetté la réouverture, impatiemment : « C’était symbolique, c’était la vie qui reprenait, c’était le retour à la normale. »
Il est rassuré de constater que la brasserie a « conservé la même ambiance festive, jeune, branchée ». « En fait ici, rien n’a changé, mais tout a changé... il y a une trace qui restera à vie. »
Quelques tables plus loin, Orçun a atterri là par hasard. Il ne vit pas à Paris, et ne savait pas que le restaurant avait été la cible des attentats. Il s’en excuse presque. « En même temps, rien ne permet de s’en rendre compte », observe-t-il. « Et c’est tant mieux ! »
En fin d’après-midi, dans une rue parallèle, une autre terrasse s’anime. Tranquille en journée, Le Carillon accueille à la tombée du jour une clientèle variée, concentrée sur quelques mètres de trottoir, dans une ambiance conviviale.
Accoudé au bar, un ancien serveur, présent le 13 novembre, profite de la soirée. Avec ses anciens collègues, il « évite d’en reparler, ça fait plus souffrir qu’autre chose ». Il évoque les attaques seulement avec les familles des victimes, « quand elles ont besoin de parler ».
De tous les serveurs et patrons de bar interrogés par l’AFP, il est le seul qui accepte de se confier. « On est restés sur place jusqu’à sept heures du matin, avec la police scientifique, les corps des victimes... C’était une scène de crime, ça nous a marqués », se souvient-il.
Depuis quelque temps, il travaille dans un nouvel établissement. Mais continue malgré tout de revenir au Carillon, avec le même plaisir. « C’est un lieu qui nous appartient à tous désormais », conclut-il dans un sourire.
Claude Halmos, psychanalyste : «Il est tout à fait normal d’avoir peur»
A la crise économique que nous traversons est venue s’ajouter la peur des attentats. Doit-on craindre un « syndrome dépressif » généralisé ?
Nous avons tous aujourd’hui à supporter, en plus des angoisses issues de nos histoires personnelles, des souffrances liées à la vie sociale : la crise économique et les attentats, notamment. Mais parler de « syndrome dépressif » n’est pas adapté car ce terme, utilisé pour les individus, n’est pas applicable à l’ensemble d’une population. Et puis, parler de « dépression », sous-entendrait que les gens sont malades. Or, ils ne le sont pas. Ils souffrent d’une situation extérieure à eux, si violente qu’elle fait vaciller tout le monde. Leur réaction n’est pas pathologique, elle est normale.
Nous allons désormais devoir vivre avec cette menace. L’humain est-il équipé pour s’habituer aux situations de stress quotidien ?
Il va bien falloir que nous apprenions à vivre avec ces situations. Mais il faudrait que les « psys », notamment ceux qui s’expriment dans les médias, les prennent en compte pour aider les gens à les vivre. Après ces événements, beaucoup de gens m’ont remerciée d’avoir dit publiquement qu’il était normal d’avoir peur. Ils avaient besoin de l’entendre. Des millions de Français vivent avec la peur, mais se sentent coupables de l’éprouver. Or, avoir peur aujourd’hui, quand on prend le métro, est normal puisque le risque est réel. Le tout est de mettre des limites à cette peur, pour qu’elle ne nous empêche pas de vivre. Oui, un acte terroriste peut être commis dans le métro à tout moment. Mais non, tous les métros ne peuvent pas exploser en même temps. Justement parce qu’on est dans la réalité et pas dans un cauchemar. Contrairement à un risque fantasmé, un risque réel a toujours des limites.
Comment comprendre qu’un jeune de 15 ans puisse être prêt à commettre un acte terroriste en France ?
Beaucoup de ces jeunes sont issus de banlieues dites « difficiles ». J’y ai longtemps travaillé, à l’hôpital. J’ai vu la pauvreté, le désarroi des familles, de graves carences éducatives, des jeunes pour qui l’école n’a pas su remplir son rôle d’éducation. Auxquels elle n’a pas su donner les armes de la culture et de la pensée, qui auraient pu leur permettre de socialiser leur révolte face à un monde qu’ils voulaient changer, ce qui, à l’adolescence, est normal. Ils sont donc restés des proies, faciles à embrigader. Et ils sont allés se faire manipuler -via internet- loin de France. Car il n’y a plus aujourd’hui, en France, d’organisations politiques capables de les rassembler.
Quelles conséquences peut-on imaginer pour les enfants élevés en Syrie par des djihadistes, spectateurs et parfois même acteurs de séances de torture et d’exécution ?
C’est impossible à dire. Et, comme pour les « enfants soldats », chaque cas est particulier. Mais penser à un enfant élevé dans ces conditions est terrifiant. C’est une forme de maltraitance très grave et totalement déshumanisante. Et elle relève, à mon sens, du crime contre l’humanité.
Nos enfants ont vu des images violentes, observé des minutes de silence en classe, croisent des militaires en arme devant leurs écoles… Comment grandir dans ce contexte ?
Ils ont besoin d’être accompagnés par des parents, des enseignants qui ne leur cachent pas la réalité mais la leur expliquent et leur permettent d’en parler. Epaulé dans les épreuves, un enfant peut non seulement les traverser mais en sortir plus fort.
Les exercices anti-intrusion organisés à l’école sont-ils une bonne chose ?
Oui, parce qu’ils montrent à chaque enfant qu’il n’est pas un petit mouton isolé et faible, confronté à un loup tout puissant. Qu’il fait partie d’un groupe, capable d’organiser sa défense. Le problème est celui des enfants de moins de six ans. Les circulaires recommandent de leur faire croire qu’il s’agit d’un jeu. C’est aussi stupide que dangereux, et cela montre à quel point les adultes prennent, aujourd’hui encore, les enfants pour des imbéciles ! En quarante années de pratique, quels changements majeurs avez-vous pu observer sur la façon dont les parents éduquent leurs enfants ?Les parents n’ont jamais été aussi perdus, car ils entendent, à propos de l’éducation de leurs enfants, tout et n’importe quoi. Et surtout des choses très angoissantes comme celles que distille à l’heure actuelle, le courant de l’éducation dite « positive ». Le désarroi des parents est un marché des plus rentables et beaucoup en profitent.
Quel repère de base pouvez-vous donner à ces parents ?
Arrêter de croire n’importe quoi. Réfléchir. Laisser tomber les gourous et se faire confiance. Vous êtes de la génération 68 mais prônez l’autorité parentale. Que risque un enfant auquel on ne donne aucun cadre ? En 68, on s’est battus contre l’autoritarisme, pas contre l’autorité. Cette dernière est absolument nécessaire. Un enfant à qui on ne fixe pas de limites est toujours angoissé. Il a peur à la fois de l’extérieur et de lui-même. Car ses parents, impuissants devant lui, lui semblent tout aussi incapables de le protéger des dangers du monde que de mettre des limites à ses pulsions. Dans la préface de votre dernier livre, vous vous insurgez contre les « thérapies réputées aussi brèves que sans souffrance ».
Est-ce à dire que la psychanalyse ne peut se faire sans douleur ?
C’est le cas. Pour se débarrasser de ses souffrances, il ne suffit pas d’en parler. Il faut repasser par ce qu’on a vécu, c’est tout sauf une partie de plaisir. Il ne faut donc venir à l’analyse qu’en connaissance de cause.
On dit parfois que la psychanalyse ne dissipe pas nos problèmes, mais nous apprend à vivre avec. Qu’en pensez-vous ?
La psychanalyse doit permettre de déconstruire ses souffrances et de s’en débarrasser pour construire une nouvelle vie. Et il n’est jamais trop tard pour cela.
Anne-Sophie Douet, ALP
* Dans le cadre de la sécurisation des écoles, chaque établissement scolaire doit réaliser au cours de l’année scolaire 2016-2017 trois exercices « attentat-intrusion ».
« Savoir être. Une psychanalyste à l’écoute des êtres et de la société », éd. Fayard, 2016.
«Mon fils est un symbole»
Le 13 novembre 2015, le Montpelliérain Hugo Sarrade tombe au Bataclan sous les balles des terroristes. Un an après, son père refuse la haine.
Quel est votre état d’esprit un an après l’attentat ?
Comme vous pouvez l’imaginer, cette année a été compliquée. On doit faire face aux premières fois sans Hugo et à ce deuil privé s’ajoute pour toutes les familles de victimes un deuil national. C’est très particulier. J’apprends à vivre avec, mais il suffit d’ouvrir un journal, d’allumer la radio ou la télévision pour tomber sur quelque chose qui vous ramène à ce qu’il s’est passé ce 13 novembre 2015. Je suis chercheur, alors depuis j’essaie de comprendre, de trouver du sens à un acte qui semble ne pas en avoir.
En avez-vous trouvé ?
Je n’ai pas de réponse, mais j’ai le sentiment d’avancer à petits pas. Dès le premier jour j’ai été frappé par la trajectoire de ces jeunes, français, qui ont tué mon fils. Rien n’est simple.Rien n’est compartimenté. Mais j’ai compris aujourd’hui que ces jeunes ont été manipulés par des gourous. Hugo avait 23 ans. À cet âge-là on peut traverser des périodes de faiblesse.
« Si je tombe dans la haine, ils gagnent »
Malgré la douleur, vous semblez parler sans haine ni colère…
Pendant un an, la question est revenue. Est-ce que tu as de la haine ? J’ai compris dès le départ que la haine n’allait pas m’aider. C’est un sentiment qu’Hugo n’a jamais exprimé en 23 ans. Si je tombe dans la haine, je perds et ils gagnent. J’ai promis une seule chose à Hugo sur son lit de mort, que Daech ne gagnerait jamais. La colère, j’essaie de la transformer en énergie positive pour continuer à agir.
Votre fils est malgré lui devenu un symbole national. Est-ce parfois difficile à vivre ?
Depuis un an, j’apprends à gérer cet effet miroir permanent. Mon fils est aujourd’hui un symbole de cette génération prise pour cible. C’est comme cela. Quand je rencontre des étudiants de son âge ou ses copains de la faculté des sciences de Montpellier, c’est dur. Mais j’ai aussi reçu des centaines de témoignages de parents qui se sont identifiés à notre douleur. Certains me remercient même de mener une démarche de résilience. Pourtant, un an après, c’est très compliqué de se lever tous les matins.
« Daech va disparaître mais les métastases vont rester »
Êtes-vous attentif à l’évolution des combats en Syrie et en Irak ?
J’y suis très attentif. Imaginer que Daech va perdre permet de se reconstruire. Mais je suis aussi inquiet pour l’avenir. Daech va disparaître mais les métastases vont rester. Sous quelles formes vont-elles réapparaître ? Je n’ai pas de réponses mais c’est aujourd’hui qu’il faut se poser ces questions.
Nicolas Zarrouk, Midi Libre

La renaissance du Bataclan
La musique, brutalement interrompue il y a un an au Bataclan, a de nouveau résonné le 12 novembre 2016 dans la salle avec un concert émouvant de Sting qui en prélude a fait observer une minute de silence en hommage aux 90 spectateurs tués le 13 novembre 2015.
Des sourires et des larmes sur les visages pendant près d’1h30. Et après les dernières notes de TheEmpty Chair, dernier titre joué par Sting, nombre de spectateurs sont tombés dans les bras les uns des autres et ont longuement applaudi, célébrant autant la prestation toute en élégance de la star britannique que la renaissance de la salle parisienne, pleine avec 1500 personnes.
Une soirée à laquelle n’a pas assisté Jesse Hugues lechanteur des Eagles of Death Metal, le groupe américain qui était sur scène le13 novembre 2015: le leader des EODM a été refoulé par la direction à l’entrée,avec un autre membre du groupe.
« Il y a des choses qu’on ne pardonne pas », at ranché le codirecteur du Bataclan, Jules Frutos, en référence notamment à des soupçons exprimés par Jesse Hughes à l’encontre des vigiles du Bataclan.
Dans un communiqué au magazine américain Billboard, le manager des Eagles of Death Metal, Marc Pollack, a fermement nié que les deux membres du groupe aient été refoulés samedi : « Jesse n’a même pas essayé d’entrer dans la salle pour le concert de Sting », a-t-il affirmé.
L’information est « fausse », « pas de commentaire », a-t-il déclaré dans un mail de deux lignes.
Le ton juste de Sting
C’est par une minute de silence, émouvante, que Sting a lancé son concert si particulier : « Ce soir nous avons deux tâches à concilier : d’abord se souvenir de ceux qui ont perdu la vie dans l’attaque,ensuite célébrer la vie, la musique dans ce lieu historique », a déclaré en français le chanteur britannique.
Parfois accompagné sur scène du trompettiste franco-libanais Ibrahim Maalouf, Sting a revisité ses tubes pour un public où se côtoyaient fans du chanteur et survivants et proches des victimes de l’attaque du 13 novembre. Certains étaient venus avec des fleurs.
« Il a eu le ton juste, c’était un magnifique moment »,a confié après le concert l’un des spectateurs, Stéphane Pocidalo, 35 ans, au sujet de Sting, qui a évoqué la situation des migrants avant sa chanson”Inchallah” et rendu hommage à James Foley, le reporter américain exécuté en Syrie en 2014 par l’organisation État islamique (EI).
Jules Frutos a jugé la soirée « émotionnellement bien »: « c’est comme un moment de bonheur fort, d’apaisement, et un super équilibre » entre le souvenir du drame et l’avenir de la salle, a estimé le codirecteur du Bataclan.
« Il fallait absolument rouvrir le Bataclan comme il fallait continuer à maintenir les festivals cet été après l’attentat de Nice »,a confié la ministre de la Culture Audrey Azoulay après le concert.
Outre Mme Azoulay, de nombreuses personnalités étaientprésentes : la maire de Paris Anne Hidalgo, les chanteuses Patricia Kaas,Jeanne Cherhal et Lou Doillon.
« Ce n’est pas que le public qui va rouvrir le Bataclan c’est la France entière », a estimé avant le concert l’urgentiste et ex-chroniqueur de Charlie Hebdo Patrick Pelloux. « Tous les restaurant sont rouvert, les bars ont rouvert. Charlie continue (...) Ils (les terroristes islamistes, ndlr) ne gagneront jamais », a-t-il ajouté.
La recette de cette soirée sera reversée aux associations Life For Paris et 13 Novembre : Fraternité et Vérité.
Découvrez la programmation complète de la salle.